THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LES BOUDINS DE GRIPANDOUILLE
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55103720/f214.item

les boudins de gripandouille, duranty, pièce de theatre de marionnettes, free, domaine public
 

Théâtre des marionnettes du jardin des Tuileries / texte et composition des dessins par Duranty

Duranty, Louis-Émile-Edmond

1880 - domaine public
 

PERSONNAGES

GRIPANDOUlLLE. LE CHARCUTIER. LA VIEILLE FEMME. L'ÉLÉGANT.
LE GENDARME. LE DIABLE. LE COCHON. LE CHIEN.

 

UNE PLACE PUBLIQUE.

(La boutique d'un charcutier. — Un grand panier.)

SCÈNE PREMIÈRE.

GRIPANDOUILLE, LE CHARCUTIER.

GRIPANDOUILLE (gesticulant et courant.) — J'ai faim ! j'ai faim ! Je veux manger du boudin ! Du boudin ! du boudin ! Holà ! monsieur le Charcutier. (Le Charcutier sort si vite qu'ils se cognent le nez tous deux, crient, puis se frottent la tête au coin du théâtre.) Avez-vous du boudin ? J'en veux à l'instant même.

LE CHARCUTIER. — J'ai des saucisses !

GRIPANDOUILLE. — Non, du boudin !

LE CHARCUTIER. — J'ai du jambon !

GRIPANDOUILLE (avec colère.) — Non, du boudin !

LE CHARCUTIER. — J'ai des andouilles !

GRIPANDOUILLE (furieux.) — Non... du boudin ! !

LE CHARCUTIER. — J'ai du petit salé !

GRIPANDOUILLE (exaspéré.) — Du boudin, coquin ! du boudin !

LE CHARCUTIER. — J'ai du saucisson... delà langue... du...

GRIPANDOUILLE. — Mais tu as juré de me faire mourir de faim ! je n'aime que le boudin !

LE CHARCUTIER. — Je n'en ai pas !

GRIPANDOUILLE. — Ah ! tu n'en as pas ! Pourquoi mets-tu donc sur ton enseigne que tu es charcutier ?

LE CHARCUTIER. — Parce que cela me plaît !

GRIPANDOUILLE (s'avançant vers la porte de la boutique.) — Attends un peu, que je fasse une belle capilotade avec tes andouilles, tes pâtés... (Il veut entrer.)

LE CHARCUTIER (barrant le passage.) — Tu n'entreras pas !

GRIPANDOUILLE. — J'entrerai.

LE CHARCUTIER (le faisant tourner.) — Non !

GRIPANDOUILLE (lui rendant la pareille.) — Si ! (Lutte violente, à la suite de laquelle le Charcutier est culbuté. — Gripandouille pénètre dans la boutique et la saccage.) Ah ! brigand ! Ah ! empoisonneur ! (Se baissant.) Eh ! eh ! mais voici l'escalier de la cave. (Il dégringole avec fracas.) Oh ! aïe ! mes reins m'ont servi de traîneau !

LE CHARCUTIER (allant voir.) - Quelle torgnole j'ai reçue ! Ah ça, il brise tout dans mon laboratoire. Où est-il ? dans quelque terrine ? Eh ! le niais, il s'est laissé choir, il s'est gratté le dos sur les marches de mon escalier. (Riant.) Ah ! ah ! ah ! cela va lui adoucir les idées.

LA VOIX DE GRIPANDOUILLE. — Hé ! l'ami ! remonte-moi, je tiens quelque chose ; je crois que c'est un boudin !

LE CHARCUTIER (se penchant.) — Attends ! allons, là, houp ! (Il ramène Gripandouille, qui tient le Cochon.)

GRIPANDOUILLE. — Je crois que j'ai trouvé ton premier clerc !

LE CHARCUTIER. — Comment, tu me dévalises jusqu'aux os !

GRIPANDOUILLE. — Tu vas me faire un boudin avec ton premier clerc.

LE CHARCUTIER. — Jamais ! c'est mon meilleur ami !

(Ils tiraillent l'animal, l'un par la tête, l'autre par la queue. — Gripandouille ayant lâché, l'homme et la bêle tombent et disparaissent. — Le Charcutier revient aussitôt.) 

GRIPANDOUILLE. — Je vais te punir de tes vices ! (Il prend un bâton.)

LE CHARCUTIER. — Hé ! hé ! c'est ce que nous allons voir, monsieur Gripandouille !

(Il se sauve, Gripandouille le poursuit ; ils tournent de tous côtés ; le Charcutier échappe en se cachant derrière le grand panier.) 

GRIPANDOUILLE (tapant partout.) — Oui, je t'apprendrai ton métier ! (Le Charcutier rentre à pas de loup dans sa boutique.) Où est-il ? Attends, attends ! Il se sera mis dans le panier. (Il donne un grand coup de bâton sur le panier, puis regarde attentivement. — Le Charcutier sort armé d'un bâton également et l'en frappe sur la tête, puis se cache rapidement derrière sa boutique.) Oh ! oh ! voici une prune, une belle prune d'au moins cent livres qui vient de me tomber sur la tête. Laisse-moi faire, je te rendrai une tuile. (Il se met devant le panier, le Charcutier sort tout doucement de sa cachette, le frappe de nouveau et retourne vite à son poste.) Ah ! Trente-six pestes ! je me suis rudement cogné, ou bien, cette fois, ce ne sont plus des prunes qui tombent, mais des cheminées ! (Il s'embusque dans la boutique.) Ton tour viendra, mon bon ami ! (Le Charcutier s'avance encore, le croyant toujours à la même place, mais quand il arrive vers le panier, Gripandouille le frappe.) Passe cela à ton voisin !

LE CHARCUTIER (bondissant.) — Ouïe ! ça m'a piqué. (Il se sauve vers sa cachette. — Au bout d'un instant, il se décide à revenir avec précaution. — Au moment où il allonge lentement la tête pour examiner, il se trouve nez à nez avec Gripandouille, qui en faisait aidant. — Ils se frottent le nez l'un contre l'autre, puis Gripandouille éternue et donne un violent coup de tête au Charcutier.) Oh ! le mal élevé !

GRIPANDOUILLE (le tapant.) — Mouche-loi donc !

LE CHARCUTIER. — Par la mort...

GRIPANDOUILLE (le tapant.) — Mais passe donc ça à ton voisin !

LE CHARCUTIER (ripostant.) — Voilà !

GRIPANDOUILLE. — Ah ! coquin ! je vais te frotter un peu ton lard ! (Ils aiguisent tous deux leurs bâtons.)

LE CHARCUTIER. — Je te mettrai dans un pâté. (Ils se battent ; à lafinle Charcutier tombe.) Holà ! (Il relève la tête.)

GRIPANDOUILLE (le renversant d'un coup.) — Compte ton argent !

LE CHARCUTIER (relevant la tête.) — À moi, au sec...

GRIPANDOUILLE (le renversant.) — Compte ton argent !

LE CHARCUTIER (relevant la tête.) — Ah ! le band...

GRIPANDOUILLE (le renversant.) — Compte ton argent !

LE CHARCUTIER (relevant la tête.) — Je suis mort... youiihp !

GRIPANDOUILLE (le renversant.) — Oui ! (Le traînant.) Allons, allons, au panier ! (Trébuchant et laissant pendre la tête du Charcutier, qui heurte contre terre.) Oh ! qu'il est lourd ! Il a au moins deux cents jambons dans le ventre, le goinfre ! Oui, oui, cogne, cogne, on va l'ouvrir la porte, sois tranquille ! (Il jette le Charcutier dans le panier. — Avec componction :) Voilà que je me laisse toujours aller à mes vivacités ! (S'asseyant sur le panier.) Mais c'est que mon petit estomac ne s'accommode pas de tant d'exercice ! (Se frottant le ventre.) Patience, patience, mon ami, nous finirons bien par avoir un boudin ! (Entre une vieille femme qui tient un boudin.) Justement, voici notre affaire ! Hé ! madame !
 

SCÈNE II.

LA VIEILLE, GRIPANDOUILLE.


LA VIEILLE (d'un ton rogue.) — Eh bien ?

GRIPANDOUILLE (grommelant.) — Eh bien ! Elle a l'air aimable comme une porte de prison ! (La saluant et touchant le boudin.) Vous tenez là quelque chose qui a un parfum exquis ! ...

LA VIEILLE. — Cela ne vous regarde pas. Passez votre chemin !

GRIPANDOUILLE (saluant profondément.) — C'est un boudin !

LA VIEILLE. — Eh bien !

GRIPANDOUILLE. — Eh bien ! c'est un boudin !  !

LA VIEILLE. — Ne mettez point votre nez là-dedans. Je ne veux pas qu'on me parle dans la rue.

GRIPANDOUILLE (saisissant le boudin par un bout.) — Voulez-vous me donner votre boudin, madame ?

LA VIEILLE (tirant violemment le boudin.) — Non ! !

GRIPANDOUILLE. — Comment ! non.

LA VIEILLE. — Je vous dis de passer votre chemin ! (Elle lui donne un coup de boudin.) Insolent ! (Elle lui donne un second coup.) Imbécile ! (Troisième coup.)

GRIPANDOUILLE (avec colère.) — Ah ! la vieille chafouine, elle m'échauffe le nez ! (Se radoucissant brusquement.) Voyons, voulez-vous me le vendre, l'échanger contre ce qu'il y a dans ce panier ?

LA VIEILLE. — Qu'est-ce qu'il y a dans ce panier ?

GRIPANDOUILLE. — Un gigot de pré salé !

LA VIEILLE. — Ah ! je veux bien ! (Elle se prépare à regarder dans le panier, Gripandouille lui donne un coup de bâton.) Oh ! là ! là ! (Elle se frotte la tête, puis retourne au panier. — Gripandouille la tape.) Ah ! mon Dieu ! (Elle revient et regarde Gripandouille avec défiance.)

GRIPANDOUILLE. — Quoi donc ? (Levant la tête en l'air.) Je crois qu'il pleut !

LA VIEILLE. — Vous croyez ? Je vais aller chercher un parapluie, car j'ai senti de la grêle !

GRIPANDOUILLE. — Bon, allez, allez ! Donnez-moi le boudin d'abord...

LA VIEILLE. — Et je reviens prendre le panier. (Elle lui donne te boudin. — Aussitôt qu'elle se tourne pour partir, il la frappe.) Aïe ! voilà la grêle qui recommence plus fort. (Elle se sauve.)
 

SCÈNE III.

GRIPANDOUILLE, LE CHIEN.


GRIPANDOUILLE (riant.) — Ah ! ah ! ah ! Le voici donc ce boudin ! ce cher boudin ! (Il le caresse.) qui va aller réjouir le ventre de Gripandouille. Oh ! oh ! je voudrais pouvoir le remanger après l'avoir mangé. (Se frottant le nez dessus.) Oh ! comme il embaume ! (Entre le Chien.)

LE CHIEN. — Ouah ! ouah !

GRIPANDOUILLE (reculant.) — Oh ! oh ! quel est celui-ci ? Il a senti l'odeur de mon fricot, le drôle ! Veux-tu bien t'en aller !

LE CHIEN — Ouah ! ouah !

GRIPANDOUILLE. — Ouah ! ouah ! tant que tu voudras ! Va-t'en, il n'y en a pas pour deux. Je n'aime pas les camarades quand je mange.

LE CHIEN. — Ouah ! ouah !

GRIPANDOUILLE (prenant son bâton.) — Ah ! tu t'obstines à ne pas m'écouter ! (Le Chien happe le boudin.) Hé ! hé ! là ! coquin ! (Il poursuit le Chien tout autour de la scène. — Chaque fois qu'il croit le saisir, le Chien échappe.) Hé ! mon boudin, rends-moi mon boudin, voleur ! (Il attrape la queue du Chien et l'arrache. — L'animal se sauve.) Ah ! je l'ai... mais non... Qu'est-ce que c'est que ceci ?... une queue de mouton... Ah ! le fripon... Encore s'il m'avait dit à quelle sauce je pouvais la mettre ! ... (La Vieille rentre.)
 

SCÈNE IV.

GRIPANDOUILLE, LA VIEILLE.


LA VIEILLE. — On m'a dit que j'étais folle, qu'il ne pleuvait ni ne grêlait. Je viens chercher mon panier. (Elle regarde dans le panier.)

GRIPANDOUILLE. — Ah ! vieille scélérate !...

LA VIEILLE. — Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! quelle horreur ! (Elle se précipite vers Gripandouille.)

GRIPANDOUILLE. — Tu m'as abominablement trompé. Tu avais dressé ton chien à me reprendre le boudin.

LA VIEILLE. — Que dis-tu ? Quel chien, meurtrier ?

GRIPANDOUILLE. — Tu m'en diras des nouvelles !

LA VIEILLE. — Je vais aller te dénoncer. Il y a dans le panier un homme que tu as tué.

GRIPANDOUILLE. — Non ! (Il tape à terre avec son bâton.)





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