SCÈNE VIII.
BAILLENFLÉ.
BAILLENFLÉ — Allons, bon ! est-il maladroit avec sa grande gaule ! Enfin ! il m'a ensorcelé mon tonneau, je suis content. Nous allons rire maintenant. (Appelant). Hé ! Polichinelle !
POLICHINELLE, à la cantonade. — Hé ! compère Baillenflé !
BAILLENFLÉ. — Hé ! Niflanguille !
NIFLANGUILLE, à la cantonade. — Hé ! Baillenflé !
BAILLENFLÉ. — Venez donc vite ! venez donc vite ! mes amis. (Entren Polichinelle et Niflanguille.)
SCÈNE IX.
BAILLENFLÉ, POLICHINELLE, NIFLANGUILLE.
POLICHINELLE. — Comment ! ses amis ?
BAILLENFLÉ. — Oui, mes amis ! j'ai réfléchi. Je ne veux pas vivre en mauvaise intelligence avec vous ; je vous donne mon tonneau.
NIFLANGUILLE. — Ce n'est pas clair.
POLICHINELLE. — Tu nous donnes ta tonne ? Cela m'étonne.
BAILLENFLÉ. — Je vous en fais cadeau, est-ce clair ?
POLICHINELLE. — C'est parce qu'elle est vide.
BAILLENFLÉ. — Oh ! par exemple ! je vous garantis qu'elle est pleine !
NIFLANGUILLE. — Nous allons bien le voir.
POLICHINELLE. — Oui, défonçons-la
BAILLENFLÉ. — Buvez à ma santé, n'est-ce pas ! (S'en allant, il se cogne). Oh ! j'ai glissé ! (Il regarde attentivement à terre).
POLICHINELLE. — Va-t'en donc ! (Il le tape et le renvoie).
SCÈNE X.
POLICHINELLE , BAILLENFLÉ.
POLICHINELLE. — Oh ! oh ! ça ne se défonce guère. (Le Crocodile sort et lui happe le nez). Oh ! oh ! mon nez ! Diable ! qu'est-ce que c'est que ça ? un poisson ? C'est donc de l'eau, et non du vin ?
NIFLANGUILLE. — Mais non, c'est un Crocodile ; nous sommes perdus !
POLICHINELLE. — Ah ! bah ! elle est gentille cette petite bête. (Le Crocodile lui saute après). Holà là ! elle a peut-être faim ; veux-tu manger ? (Il lui tend le bâton, le Crocodile l'emporte. — Polichinelle lui en donne d'autres). Tiens ! voilà des arêtes, étrangle-toi. (Le Crocodile reparaît, la gueule ouverte). Comment, encore ? Eh bien ! liens, voilà le balai de madamce Cassandre, la casserole de madame Cababuche, le chapeau de monsieur Grippandouille, un matelas de monsieur Berlingue, deux matelas, trois, quatre, cinq, six matelas. (Le Crocodile emporte tout dans le tonneau). Oh ! tu dois être rassasié maintenant.
(Le Crocodile attrape la perruque de Niflanguille).
NIFLANGUILLE. — Holà là !
POLICHINELLE. — Ah ! c'est Niflanguille que tu veux ! Tiens ! le voilà.
NIFLANGUILLE. — Mais non ! mais non ! Polichinelle ! Holà là ! Holà là !
(Le Crocodile l'emporte).
SCÈNE XI.
POLICHINELLE.
POLICHINELLE, rit et s'approche du tonneau, le Crocodile sort la tête. — Holà ! hé ! moi aussi. Oh non ! par exemple. (Il ferme la tonne). Tiens, reste là-dedans. (Il s'assoit sur la douve). Oh ! il me fait danser. (Il saute). Eh bien ! attends ! (Le Crocodile le lance en l'air. — Criant :) À la garde ! au voleur ! Hé ! messieurs les gendarmes.
(Entre le Gendarme).
SCÈNE XII.
POLICHINELLE, LE GENDARME.
LE GENDARME. — Qui est-ce qui a crié à la garde ? Comment, c'est toi, Polichinelle ?
POLICHINELLE. — C'est pour la première fois de ma vie, mais le cas est grave.
LE GENDARME. — Qu'est-ce qu'il y a donc ?
POLICHINELLE. — Il y a dans ce tonneau un affreux criminel.
LE GENDARME. — Est-ce un gaillard solide ?
POLICHINELLE. — Je crois bien, il a déjà dévoré un homme.
LE GENDARME. — Ah ! diable ! C'est donc un anthropophage ?
POLICHINELLE. — Non, c'est un crocophage.
LE GENDARME. — Je ne connais pas. Hé ! criminel ! sors de là-dedans, que je t'empoigne !
POLICHINELLE (le parodiant). — Hé ! criminel, sors de là-dedans, qu'il t'empoigne !
LE GENDARME. — Il est inutile de se cacher, je suis le Gendarme.
POLICHINELLE. — Il est inutile de se cacher, il est le Gendarme !
LE GENDARME. — Hé ! criminel ! sors de là-dedans. Oh ! mille diables, il commence à y mettre de la mauvaise volonté ! (Secouant le tonneau). M'entends-tu ? (Le Crocodile le saisit et l'entraîne dans le tonneau). Au secours ! à moi ! holà ! là ! Holà !
SCÈNE XIII.
POLICHINELLE.
POLICHINELLE, — Oui, quand le Croco n'aura plus faim ! Arrête-le donc, puisque c'est ton affaire ! (Le Crocodile sort du tonneau). Tiens, il va faire sa petite promenade. (Il le caresse). Oh ! qu'il est gentil ! Petit, petit, petit ! (Le Crocodile l'attrape par le nez). Oh ! oh ! mon nez ! (Il se dégage. — Le Crocodile le ressaisit par derrière. — Polichinelle crie en tournant autour du théâtre). Aïe, tu me pinces ! (Il sort, et revient avec un soldat qui porte un canon).
SCÈNE XIV.
POLICHINELLE, LE SOLDAT.
POLICHINELLE. — Posez là votre canon ! là ! très bien ! Restez là, pendant que je vais le charger.
LE SOLDAT. — Mais cet animal va me dévorer !
POLICHINELLE. — Il n'y a pas de danger, seulement, prenez garde à ce qu'il ne nous échappe pas.
LE SOLDAT. — Oui, dépêchez-vous de mettre le feu à la mèche.
POLICHINELLE. — Ne bougez pas. Allons, en joue, feu !
(Le coup part et tue le Soldat).
LE SOLDAT, (tombant. — Oh ! je suis mort.
(Le Crocodile l'emporte).
SCÈNE XV.
POLICHINELLE.
POLICHINELLE. — Oh ! le pauvre homme, est-il bon de s'être laissé tuer ! (Il va prendre le canon et se brûle). C'est trop chaud ! (Il le jette). Tiens ! le croco qui est parti ! Si je pouvais en être débarrassé ! Voyons donc s'il reste du vin ! (Le Crocodile le reprend par derrière). Ah ! mon Dieu ! lâche-moi donc ! (Ils tournent autour du théâtre ; arrivé vers le tonneau, Polichinelle y entre par-dessous et fait voir sa tête. — Il chante :)
Dans mon beau château,
Ma tantirelirelire.
(Le Crocodile saute vers lui. — Polichinelle cache sa tête et reparaît, le Crocodile s'étant éloigné).
Dans mon beau château,
Mon ami le croco,
Tu as l'air d'un sot.
(Même jeu. — Puis le Crocodile entre dans le tonneau — Cris de Polichinelle qui se sauve. — Le Crocodile le poursuit et sort).
POLICHINELLE. — Ah ! mon Dieu ! il est entré chez moi, il va dévorer ma femme et mes enfants ; ils sont perdus ! Au secours ! au secours !
(Entre le Sorcier).
SCÈNE XVI.
POLICHINELLE, LE SORCIER.
POLICHINELLE. — Hein ! encore un Croco ! ah ! non, c'est le Sorcier ! le frère du marchand de vin. Je comprends tout maintenant. C'est toi qui a mis ce croco dans le tonneau ?
LE SORCIER. — Je l'y avais mis pour qu'il te mangeât.
POLICHINELLE. — Eh bien ! il a dévoré tout le monde, excepté moi !
LE SORCIER. — Ah ! mon Dieu ! je me serai trompé dans mes calculs !
POLICHINELLE. — Et si tu ne veux pas qu'il t'arrive de plus grands malheurs, pêche-le avec ton filet.
LE SORCIER. — Oui, mais où est-il ?
POLICHINELLE, lui montrant le Crocodile qui entre, un jambon aux dents. — Tiens, le voilà, il mange encore !
LE SORCIER, le manquant. — Tiribiri, tiriboro, ron ton tontine to. (Il attrape Polichinelle qui crie. — Le Crocodile le mord. — Le Sorcier délivre Polichinelle et capture le Crocodile). Oh ! je le tiens, cette fois.
POLICHINELLE. — Eh bien ! attends, je vais chercher une potence, nous allons le pendre ! (Il sort).
LE SORCIER. — C'est cela, dépêche-toi !
POLICHINELLE, avec la potence. — Pendons-le vite. (Il se sauve).
LE SORCIER. — Voilà comme tu viens m'aider !
POLICHINELLE. — Oh ! il a bâillé, gare ! (Il se cache derrière le tonneau).
LE SORCIER. — Mais je ne pourrai jamais seul en venir à bout.
POLICHINELLE. — Est-ce fait ?
LE SORCIER. — Pas encore.
POLICHINELLE. — Tu es bien long !
LE SORCIER. — Ah ! l'affaire est faite !
POLICHINELLE, armé d'un bâton. — Infâme Croco, tu voulais me manger ! Te voilà pendu, maintenant ! (Il veut le taper et tape sur le Sorcier).
LE SORCIER. — Fais donc attention, diable de poltron !
POLICHINELLE. — Vous en parlez à votre aise !
LE SORCIER. — Tu peux boire, maintenant !
POLICHINELLE. — Eh ! qu'est-ce qui m'en empêcherait donc ?
LE SORCIER. — Oh ! ce n'est pas moi ! (Il fait tourner le Crocodile autour de la potence en s'en allant).
SCÈNE XVII.
POLICHINELLE.
POLICHINELLE. — Ah ! je vais me régaler !
(On entend le sifflet du Diable qui paraît armé de sa fourche).
SCÈNE XVIII.
POLICHINELLE, LE DIABLE.
POLICHINELLE. — Oh ! le vilain Croco !
(Cris du Diable. — Évolutions. — Combat. — Le Diable met Polichinelle dans le tonneau et l'emporte).
LE DIABLE. — Voilà pour les voleurs et les ivrognes.
FIN