THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

SCÈNE VII


COCO, arrivant avec précaution par la gauche et portant un sac. - J'ai fini par me débarasser de Bibi. — C'est gênant, un complice ! D'abord il faut partager avec lui, ensuite il peut vous dénoncer. Il ne voulait pas me lâcher, le malin ! il se méfiait de moi ; mais je l'ai mis en face d'une bonne tasse de café et je lui ai dit que j'allais chercher des cigares ! Il m'attendra longtemps ! — Voyons donc si le sac est encore à sa place. Oui, le voici ! mais il était sous le banc et le voici dessus ! Oh ! oh ! on y a touché ! Il est temps de le reprendre. (Il prend le sac et va pour sortir.)


SCÈNE VIII

COCO. PANDORE, entrant par la gauche.


PANDORE, arrêtant Coco. - Un instant ! Qu'est-ce que vous portez là ?

COCO, à part. - Je suis pincé ! (Haut.) Vous le voyez bien, c'est un sac, un sac qui est à moi.

PANDORE. - À vous ? Nous allons bien voir ! Qu'est-ce qu'il y a dans ce sac ?

COCO. - Il y a... Il y a... des choses qui m'appartiennent.

PANDORE. - Et qu'est-ce que c'est ? Nous allons bien voir si c'est à vous.

COCO. - Eh bien, il y a ma recette de la journée.

PANDORE. - Ah ! ah ! Drôle de recette ! On vous paye donc en pommes de terre ? Ce sac en est plein...

COCO, à part. - Comment des pommes de terre ? Est-ce que Bibi m'aurait devancé et aurait mis ce sac-là à la place de l'autre ?

PANDORE. - Et puis, comment vous appelez-vous ?

COCO. - Mon nom ? Je m'appelle Coco Lallouette !

PANDORE. - C'est bien votre nom ?

COCO. - Parbleu ! Je sais bien comment je m'appelle, peut-être ?

PANDORE. - Parfait. — Eh bien, regardez sur ce sac ; il y a le nom du propriétaire : Graffignon, que vous avez volé ! — Allons ! je vous arrête. Placez là ce sac et suivez-moi.

COCO. - Mais je vous dis que...

PANDORE. - Allons ! Ne faites pas de résistance ! Ce serait inutile ! (S'adressant à gauche.) Monsieur Graffignon ! Le sac est à votre porte, reprenez-le. — J'ai pincé le voleur ! — Allons, mon brave, en prison, en prison ! (À part.) J'étais bien sûr qu'il ne m'échapperait pas ! (Ils sortent par la gauche.)


SCÈNE IX


GRAFFIGNON, sortant de chez lui, à droite. - Me voici ! Me voici, gendarme ! (S'emparant du sac.) Ah ! mon sac ! Enfin je le retrouve ! Mais ça n'est pas le bon, sapristi ! C'est le sac de pommes de terre, mais ce n'est pas mon sac d'argent... Gendarme ! Gendarme ! Il ne m'entend pas ! Rentrons toujours ce sac-là. Tout à l'heure j'irai à la gendarmerie pour savoir ce qu'est devenu l'autre. (Il rentre chez lui avec le sac.)


SCÈNE X


BIBI, entrant avec précaution par la gauche. - J'aurais dû me méfier de Coco ! Il m'a planté au café devant une demi-tasse ; je suis sûr qu'il est venu prendre le magot. Voyons donc. (Il va au banc.) Qu'est-ce que je disais ! Le sac n'y est plus ! Je suis volé ! Où le trouver maintenant ? Comme il doit se moquer de moi ! Ai-je été assez jobard ! Oh ! mais, si je le repince, je lui ferai son affaire. Ah ! quelle mauvaise idée ai-je eue de me faire voleur.
AIR : de la Brouette de Pluton.
On croit que pour être voleur
Il suffit d'être habile ;
Or, un complice est de rigueur
Quand l' coup est difficile.
Mais, l' compic' souvent.
File avec l'argent
Sans laisser une obole :
Moi, ça m' fait rager,
Car, j' veux bien voler,
Mais j' veux pas qu'on me vole !


SCÈNE XI

BIBI, BÉTINET.


BÉTINET, entrant avec le sac d'argent, par la droite. - Quand je vous disais que je n'ai pas de chance ! Le sac que j'ai trouvé a un propriétaire, monsieur Graffignon ! — C'est écrit sur la toile. Je ne suis pas un voleur, moi ; il faut que je le rende ! C'est dur, tout de même, de rendre une si grosse somme quand on a fait tant de projets et qu'on meurt de faim. Enfin, il le faut !

BIBI, apercevant Bétinet. - Tiens ! Qu'est-ce que c'est que celui-là ? On dirait qu'il porte mon sac.

BÉTINET, regardant à gauche. - Graffignon. - Oui, c'est là ; le nom est sur la porte.

BIBI. - Oh ! Oh ! Ne laissons pas filer mon magot ! (Abordant Bétinet.) Bonjour, monsieur !

BÉTINET - Bonjour, monsieur. (À part.) Il n'est pas bien mis, mais il est bien poli.

BIBI. - Vous portez un sac bien lourd.

BÉTINET - Je crois bien, monsieur, j'en ai les bras rompus ! C'est un sac que j'ai trouvé et que je vais rendre à son propriétaire, monsieur Graffignon. "

BIBI. - Ah ! Ah ! Vous connaissez monsieur Graffignon ?

BÉTINET - Moi ? Non ! Je ne l'ai jamais vu.

BIBI. - Et vous voulez le voir ?

BÉTINET - Oui ! Pour lui rendre son sac.

BIBI. - Eh bien, regardez-moi.

BÉTINET - C'est vous ? monsieur Graffignon ?

BIBI. - Je crois bien que c'est moi ! En voulez-vous une preuve ? Tenez, je demeure là.

BÉTINET. - C'est vrai !

BIBI. - Et vous avez trouvé mon sac là, sous ce banc !

BÉTINET. - C'est vrai ! Allons ! Je vous le rends ! Je vois bien qu'il est à vous.

BIBI. - Merci !

BÉTINET. - Vous ne me donnerez pas quelque petite chose pour la peine ?

BIBI. - Si ! Si ! Vous êtes un brave homme. Je n'ai pas de monnaie sur moi, mais revenez dans un instant. Je vous récompenserai.

BÉTINET. - Je n'y manquerai pas ! Au revoir, monsieur. (À part.) Allons, consolons-nous ! Au lieu d'une fortune, j'ai peut-être trouvé de quoi dîner ; c'est toujours ça ! (Il sort par la gauche.)
 

SCÈNE XII

BIBI, puis PANDORE entrant par la gauche.


BIBI. - Voilà ce que c'est que de n'être pas un imbécile ! J'ai retrouvé le magot. Mon pauvre Coco, je te demande pardon de t'avoir soupçonné ; mais puisque tu n'as pas été si malin que moi, tant pis pour toi ! Je garde tout ! et je me sauve. (Il va pour sortir en emportant le sac.)

PANDORE, entrant. - Halte-là ! Où allez-vous comme ça ?

BIBI, à part. - Aïe ! Un gendarme ! pincé ! — (Haut.) Je vais, je vais...

PANDORE. - Vous ne savez pas où vous allez ! Eh bien, je vais vous le dire ! Vous allez en prison !

BIBI. - En prison ! Moi ! Pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

PANDORE. - Vous ne savez pas ce que vous avez fait ? Je vais vous le dire. — Connaissez-vous un nommé Coco Lallouette ? Ne dites pas non ! Vous le connaissez ! C'est un garçon qui vous aime bien, à preuve qu'il s'ennuie sans vous. — Ne bougez pas, je suis armé ! — Alors, Coco m'a raconté votre petite histoire.

BIBI. - Quelle histoire ?

PANDORE. - L'histoire du sac, du sac que vous portez et que vous allez placer là.

BIBI. - Ce gredin de Coco qui m'a dénoncé ! Il me payera cela !

PANDORE. - Allons ! allons ! mon gaillard, en route ! Venez retrouver votre camarade ! (S'adressant à gauche.) Monsieur Graffignon ! Monsieur Graffignon !

GRAFFIGNON, de la coulisse. - Me voilà ! Qu'est-ce qu'il y a ?

PANDORE. - Votre sac est retrouvé. Il est là, venez le prendre. (À Bibi.) Allons ! Ouste ! (Ils sortent par la gauche.)


SCÈNE XIII


GRAFFIGNON, sortant de chez lui, à droite. - Il est retrouvé ! Mon sac ! Mon magot ! Mon trésor ! Où est-il ? (Prenant le sac.) Oui, le voilà ! c'est bien lui ! Mon cher sac !
Air : Derrière l'omnibus.
Dans un sac de pommes de terre,
J'avais mis mon petit trésor,
Pensant dérouter les compères,
Mais il paraît que j'avais tort.
Ce n'est pas ça qu'il fallait faire,
Car les voleurs me l'ont volé
Et j'étais très désolé
De me voir ainsi pillé !
Mais le gendarme diligent,
Tra la la la la,
S'est montré très intelligent,
Tra la la la la,
Et m'a fait rendre mon argent,
Tra la la la la la.
 

SCÈNE XIV

GRAFFIGNON, BÉTINET, entrant par la gauche.
 

BÉTINET. - Ah ! monsieur, je viens pour la petite récompense.

GRAFFIGNON. - Quelle récompense ?

BÉTINET. - Tiens, ce n'est plus le même monsieur ! Et il a le sac ! — Vous êtes bien monsieur Graffignon ?

GRAFFIGNON. - Sans doute, c'est moi ! Que voulez-vous ?

BÉTINET. - Je veux !... Sapristi, vous avez de la chance.

GRAFFIGNON. - Expliquez-vous ! Je ne comprends pas.

BÉTINET. - Eh bien, voilà ! J'avais trouvé votre sac, là, et l'avais emporté croyant qu'il n'était à personne ; mais en route, je lus votre nom sur la toile ; alors, je me dis : « Il faut le rapporter. » Ce que j'ai fait ; et j'ai, tout à l'heure, trouvé ici un individu qui m'a dit qu'il était monsieur Graffignon. Alors je lui ai remis le sac et il m'a promis une récompense que je venais chercher.

GRAFFIGNON. - Cet individu était un voleur, qui est en prison maintenant.

BÉTINET. - Tant mieux pour vous ! monsieur. Pour moi, définitivement, je n'ai pas de chance ! Pas de magot ! Pas de récompense ! Et je meurs de faim.

GRAFFIGNON. - Et pourquoi rapportiez-vous le sac ?

BÉTINET. - Dame ! Puisque votre nom était dessus, c'est qu'il était à vous ! Je ne pouvais pas le garder.

GRAFFIGNON. - Vous êtes donc honnête ?

BÉTINET. - Je ne sais pas !

GRAFFIGNON. - Je m'y connais, moi, vous devez l'être ! Voulez-vous rester chez moi, je vous nourrirai ?

BÉTINET. - Et qu'est-ce que j'aurai à faire ?

GRAFFIGNON. - Vous garderez mon magot... Sans y toucher, bien entendu !

BÉTINET. - Ah ! monsieur ! Vous me sauvez la vie ! J'accepte !

GRAFFIGNON. - Bravo ! Au moins, moi aussi, j'aurai fait une bonne action ! (Au public.)
Air : Distribution d'un bœuf à un régiment.
Aimable public, la coutume autrefois
Était à la fin d'une pièce,

De vous demander dans un couplet de choix
Si vous approuviez sa finesse.
Nos aïeux, toujours satisfaits
Quand ils avaient ri, nous applaudissaient.
Vous ne pouvez pas faire mieux
Que de nous applaudir comme eux !
 

RIDEAU






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