SECONDE PARTIE
UN SALON.
NIFLANGUILLE et BARBANDU apportent le sac et le dressent.
NIFLANGUILLE. — Ouf ! quelle corvée ! Ce sac est entêté. Il nous a forcés à l'apporter dans le salon. Il n'a voulu rester ni à la cave, ni à la cuisine ! (Le sac danse. — Les autres, effrayés, courent partout en criant :) Oh ! eh ! ah ! (Le sac donne des coups de bâton à Niflanguille.) Ah ! ah ! ça ne peut pas se passer comme ça ! je vais chercher mon sabre et j'éventrerai le sac. Toi, lourdaud, veille bien là-dessus par la même occasion.
BARBANDU. — Oh ! monsieur, si monsieur restait plutôt... j'aimerais mieux aller chercher le sabre, car je sais bien, moi, ce qu'il y a dans le sac.
NIFLANGUILLE. — Vraiment ! apprends-le-moi donc vite.
BARBANDU. — Ce n'est pas difficile à deviner.
NIFLANGUILLE. — Eh bien ! dis-le tout de suite.
BARBANDU. — Il y a des coups de bâton.
NIFLANGUILLE. — Idiot ! reste là et n'aie pas peur ! (Il sort.)
BARBANDU. — Oh ! monsieur le sac, gardez vos coups de bâton pour mon maître, moi, je ne suis qu'un pauvre domestique. Attendez que le seigneur Niflanguille soit rentré pour vous fâcher. (Pierrot remue pour sortir du sac.) Oh ! non, ne remuez pas ! (Pierrot sort.) Oh ! le charbon qui est tout blanc !
PIERROT (avec le bâton.) — Coquin, entre vite la, à ma place.
BARBANDU. — Mais, monsieur le charbon, mon maître est allé chercher son sabre pour percer le sac. Si j'entre là-dedans, je serai tué ! (Il pleure.)
PIERROT (le rossant.) — Je suis pressé !
BARBANDU (entre dans le sac en pleurant.) — Oh ! bon Dieu, bon Dieu !
PIERROT (tapant sur le sac.) — Reste tranquille ! À présent, sac pour sac ! (Il Prend le sac d'écus de Niflanguille.) Seulement, le mien est le sac à la malice. Je commence à être vengé. (Tapant le sac.) Reste donc tranquille, toi !
NIFLANGUILLE (du dehors.) — Surtout ne bouge pas, Barbandu.
BARBANDU. — Non, monsieur, je ne le peux pas ! (Pierrot sort. — Niflanguille entre et se jette sur le sac qu'il traverse avec son sabre.) Aïe, je suis mort. (Pierrot apparaît à une fenêtre.)
NIFLANGUILLE. — On va bien voir ce qu'il contient, ce maudit sac ! Tout juste ! une tête ! j'étais sûr que ce scélérat de Charbonnier. (Pierrot disparaît en jetant un éclat de rire :) Hi ! hi ! hi ! (Niflanguille se retourne.) Hein ! qu'y a-t-il ? Les oreilles m'ont tinté. (Revenant au sac.) Recommenceras-tu, drôle ! Eh ! eh ! oh ! mais c'est ce pauvre sot de Barbandu que j'ai tué ! mon fidèle et stupide domestique ! Oh ! et on m'a pris mon sac d'écus ! Mais de quel abominable complot suis-je donc victime ! Ah ! Défiez-vous, défiez-vous des charbonniers. (Pierrot entre avec un Gendarme.)
PIERROT. — Vous voyez, monsieur le Gendarme, que je vous avais dit la vérité. Il vient de tuer son domestique. Son sabre est encore dans le corps du malheureux.
LE GENDARME. — Il n'y a pas moyen de dire le contraire,
NIFLANGUILLE. — Mais c'est par maladresse que...
LE GENDARME. — Incorrigible criminel, vous voulez me faire croire que je suis une bête et que je ne vois pas clair.
NIFLANGUILLE. — Je vous dis que je me suis trompé.
LE GENDARME. — Eh bien ! quand tu seras pendu, tu verras que je ne me trompe pas, moi !
NIFLANGUILLE. — Eh bien ! et vous n'arrêtez pas Pierrot, qui m'a volé mon argent ?
LE GENDARME. — Mais si, mais si, je l'arrête !
PIERROT. — Il ment horriblement. Il n'a pas de preuves ! Je ne l'ai pas, son sac.
LE GENDARME (à Niflanguille.) — Ah ! en effet, les preuves manquent ; ainsi, tu n'auras pas de compagnon de potence.
NIFLANGUILLE. — Je ne veux pas être pendu tout seul. Arrêtez le Charbonnier. Il m'a vendu son sac à faux poids. Il y a des preuves cette fois, puisque au lieu de charbon il y avait mon domestique dans le sac.
LE GENDARME. — Ah ! c'est péremptoire, légitime et judicieux ! Nous pendrons donc le Charbonnier.
PIERROT. — Très bien, monsieur le Gendarme ! très bien !
LE GENDARME. — Où est-il, le Charbonnier ? (Le Charbonnier entre.)
LE CHARBONNIER. — Eh bien ! êtes-vous content du charbon ?
LE GENDARME. — Je t'arrête !
LE CHARBONNIER. — Pourquoi ?
LE GENDARME. — Tu as vendu à faux poids.
LE CHARBONNIER. — Mais non, j'ai vendu du charbon qui saute. Cela vaut plus que le charbon ordinaire. On ne s'y retirerait pas sans cela.
LE GENDARME. — Il a peut-être raison !
NIFLANGUILLE (emmenant le Gendarme à l'écart.) — Écoutez, monsieur le Gendarme, si vous voulez me laisser échapper, je vous donne tout le vin de ma cave.
LE GENDARME. — Ah ! je veux bien boire un coup.
NIFLANGUILLE (présentant la bouteille.) — Tenez, goûtez un peu ce petit muscat.
LE GENDARME. — Oh ! parfait, c'est à se lécher les moustaches ! Allons, vaquons à nos affaires, tas de pendus !
NIFLANGUILLE. — C'est cela ! je m'en vais, n'est-ce pas ?
LE GENDARME. — Reste là, scélérat !
NIFLANGUILLE. — Je te donne un champ de navets.
LE GENDARME. — De la corruption !... Tu seras pendu et rependu !
NIFLANGUILLE. — Pourquoi as-tu bu mon vin, alors ?
LE GENDARME. — Parce que j'avais soif.
NIFLANGUILLE. — Si j'avais su, il ne t'aurait guère mouillé le gosier.
LE GENDARME. — Ces deux autres coquins sentent la corde. Je vais vous interroger définitivement. Répondez clairement. Qu'avez-vous à dire pour voire défense ?
LE CHARBONNIER (vite.) — Mon charbon sautait, ça ne me regarde pas !
NIFLANGUILLE (id.) — Mon domestique était dans le sac, ça ne me regarde pas non plus ! Mais Pierrot m'a volé mon argent, et ça me regarde !
PIERROT (vite.) — Niflanguille m'aurait poussé au vol par sa dureté, si je n'étais un parfait honnête homme.
LE GENDARME. — Eh ! eh ! plus lentement, les amis.
NIFLANGUILLE (plus vite.) — C'est le Charbonnier qui est la cause du malheur !
LE CHARBONNIER (id.) — C'est Pierrot !
PIERROT (id.) — C'est Niflanguille !
NIFLANGUILLE (id.) — C'est le Charbonnier !
LE CHARBONNIER (id.) — C'est Pierrot !
PIERROT (id.) — C'est Niflanguille !
LE GENDARME. — Silence ! triples criminels, vous vous accusez tous trois ! Je vais dénouer la difficulté en nouant la corde autour de vos cous !
PIERROT. — À la fin, il est inconvenant qu'un honnête homme comme moi soit confondu avec ces coquins ! (Il prend un bâton.) Je veux mourir en brave ! (Il bat les trois autres.)
NIFLANGUILLE (prenant un bâton.) — Ils me rendront fou ! (Ils battent les deux autres.)
LE CHARBONNIER (s'armant.) — Puisque c'est comme ça qu'on cause ici, je me mêle à la conversation. (Tous trois battent le Gendarme.)
LE GENDARME (s'armant.) — Je vais vous séparer, drôles ! (Bataille à quatre.) Attendez ! attendez ! puisqu'on ne peut pas vous calmer ! (Il sort.)
PIERROT. — Eh ! si nous décampions !
NIFLANGUILLE ET LE CHARBONNIER. — Décampons !
(Quand ils veulent sortir, le Gendarme les rejette en dedans. — Il apporte la potence et les balances avec un poids.)
NIFLANGUILLE. — La potence dans mon salon !
LE GENDARME. — C'est pour ne pas vous laisser languir !
PIERROT. — Et ces balances ?
LE GENDARME. — Ce sont les balances de la justice. Tu les essayeras le premier !
(Il le jette dans un des plateaux, qui baisse fortement.)
LE CHARBONNIER ET NIFLANGUILLE. — Oh ! comme il est lourd !
LE GENDARME. — Fouillez-le !
PIERROT (se déballant.) — Non ! non ! non !
(On lui prend le sac d'argent sous sa robe.)
NIFLANGUILLE. — Mon sac ! mon sac !
LE GENDARME. — Pas tant de précipitation ! Voilà donc l'explication de son poids ! Maintenant, passons au second criminel. (Il met le sac de charbon sur le plateau, qui s'élève très haut.) Oh ! qu'il est léger : la frrraude est évidente ! Jugeons : Considérant que le Charbonnier a vendu à faux poids... le condamne à mort !
LE CHARBONNIER. — Que le diable t'étrangle ! Je ne suis pas encore retiré du commerce !
LE GENDARME. — Considérant que le seigneur Niflanguille est dur envers les maigres et les pauvres, le condamne à mort ! Quant au chef de l'homicide, l'acquitte.
NIFLANGUILLE. — Grand merci, gredin !
LE GENDARME. — Silence ! Considérant que Pierrot a volé l'argent du seigneur Niflanguille, le condamne à mort !
PIERROT. — Et voici l'exécution !
(Il bat le Gendarme, qui crie, le met dans le sac, le tue et le jette par-dessus le théâtre.)
LE CHARBONNIER ET NIFLANGUILLE. — Ah ! brave Pierrot ! excellent Pierrot !
PIERROT. — Maintenant, Charbonnier, si tu m'en crois, nous utiliserons la potence...
LE CHARBONNIER. — Oui, on en ferait de bon bois pour chauffer.
PIERROT. — Non, Niflanguille nous en veut. Pendons-le et nous partagerons ses écus !
LE CHARBONNIER. — Ah ! ah ! ah ! à l'instant même !
NIFLANGUILLE. — Laissez-moi, misérables ! laissez-moi ! (Ils le poursuivent ; il leur échappe.) J'aime mieux me jeter par la fenêtre. (Il se jette.)
LE CHARBONNIER. — Courons après !
PIERROT (prenant le sac.) — Mais n'oublions pas les écus.
TROISIÈME PARTIE
PLACE PUBLIQUE. PIERROT, LE CHARBONNIER.
LE CHARBONNIER. — Voilà assez longtemps que tu me fais courir ; nous allons partager !
PIERROT. — Oui, mon cher ami.
LE CHARBONNIER. — Oh ! bon apôtre ! tu ne te presses guère.
PIERROT. — Allons ! compte toi-même l'argent ! (Il sort.)
LE CHARBONNIER (remuant le sac.) — Le nœud est diablement serré !
PIERROT (lui donnant un coup de bâton.) — Voilà ta part ! (Il le frappe.)
LE CHARBONNIER. — Oh ! je suis mort !
PIERROT. — Cela t'apprendra à faire la différence du blanc au noir. À moi les écus ! et à boire ! Ces exercices violents altèrent. Hé ! marchand de vin, as-tu un tonneau de Bourgogne ?
LE MARCHAND DE VIN (amenant le tonneau.) — Celui-ci vous convient-il ?
PIERROT. — Parfaitement ! (Le frappant.) Merci, adieu !
LE MARCHAND DE VIN. — C'est ainsi que vous payez ?
PIERROT (le battant.) — Oui, et largement.
LE MARCHAND DE VIN (se sauvant.) — Sacripant ! tu auras ton tour !
PIERROT. — Quelle bonne journée ! Des farces, de l'argent et du vin : Oh ! que l'existence est douce !
(Niflanguille et le Commissaire arrivent en voiture avec la potence.)
LE COMMISSAIRE. — Mon bon ami, tu peux dire adieu à cette douce existence.
PIERROT. — Monsieur le Commissaire, de quoi vous mêlez-vous ?
NIFLANGUILLE. — Allons ! allons ! monsieur le Commissaire, ne nous amusons pas ! il s'échapperait.
PIERROT. — Oh ! quelle a-bo-mi-na-lion !
LE COMMISSAIRE. — Allez ! tirez la corde !
(On le pend la tête en bas.)
NIFLANGUILLE. — Il voulait boire, qu'il boive ! (On lui trempe la tête deux ou trois fois dans le tonneau.) — À présent, je reprends mes écus !
LE COMMISSAIRE. — Non ! monsieur, je les confisque ! À chacun selon son mérite, s'il vous plaît, Allez-vous-en ! (Un coup de bâton.)
NIFLANGUILLE. — Il fallait que je fusse volé ! (Il part.)
LE COMMISSAIRE. — Le Charbonnier a été tué par son camarade de vol ; Pierrot a été pendu, et ce mauvais riche perd son argent : donc soyons toujours vertueux !
FIN