THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE PÈRE MATHIAS. - Qu'est-ce que tu dis ? — Veux-tu bien me laisser lire !

GUILLAUME. - Ça ne vous gêne pas que je lise de ce côté-là.

LE PÈRE MATHIAS. - Voyons ! reste tranquille. Il faut que je termine mon feuilleton. Écoute plutôt. (Il lit.) « — Le baron de Trinqueville entra souriant. Aussi tôt Brindamour, qui attendait ce signal, sortit du coffre à bois où il s'était caché et, se précipitant sur la baronne endormie, lui donna quatorze coups de poignard ! Quand elle se réveilla, elle était morte ! »

GUILLAUME. - Ah ! mais c'est encore plus stupide que ce que je lisais ! Ne lisez donc pas ça ! (Il donne un coup de tête dans le journal.)

?
LE PÈRE MATHIAS. - Veux-tu bien me laisser lire ! C'est palpitant.

GUILLAUME, même jeu. - Je vous dis que non !

LE PÈRE MATHIAS. - Je te dis que si.

GUILLAUME, arrachant le journal. - Je ne veux pas que vous deveniez idiot !

LE PÈRE MATHIAS, cherchant à reprendre le journal qui se déchire. - Rends-moi mon journal, polisson !

GUILLAUME. - Polisson ! Moi ! Va donc ! vieux marron sculpté.

LE PÈRE MATHIAS, allant chercher son bâton. - Attends ! attends ! Je vais t'apprendre à être insolent !

GUILLAUME. - Ne me touchez pas ! Ou sans cela garde à vous !

LE PÈRE MATHIAS. - Je vais te corriger, petit drôle, attends ! (Il le poursuit avec son bâton.)

GUILLAUME, courant autour de la chambre. - Tu ne m'attraperas pas ! Tu ne m'attraperas pas !

LE PÈRE MATHIAS. - Tu vas voir ! Tiens ! (Il donne un coup de bâton raté. Poursuite à volonté.)

GUILLAUME. - Ah ! mais, c'est qu'il tape pour tout de bon ! Attends, mon bonhomme, attrape ! (Il lui jette à la tête le paquet de tabac.)

LE PÈRE MATHIAS, le poursuivant toujours. - Ah ! gredin ! Tu vas me payer ça !

GUILLAUME, prenant la bouteille de lait et s'en servant comme d'un bouclier. - Ne vous fatiguez donc pas, patron ! Je vous dis que vous ne m'attraperez pas ! Buvez donc plutôt votre lait. (Le père Mathias donne un coup sur la bouteille.) Vous n'en voulez pas ? Ça vous calmerait pourtant ! Eh bien, vous allez le boire malgré vous. (Il lui jette le lait à la figure et la boîte ensuite, puis il se sauve par la droite.)

LE PÈRE MATHIAS. - Je suis inondé ! Ah ! le scélérat ! le brigand ! le voleur ! l'assassin ! Il a voulu me tuer ! Au secours ! À la garde ! À l'assassin. (Il va aux coulisses et crie :) À l'assassin ! À l'assassin ! Arrêtez-le !



SCÈNE IX


LE PÈRE MATHIAS. LE GENDARME, entrant par la droite.



LE GENDARME, entrant. - Il suffit ! Vous m'avez appelé, me voici.

LE PÈRE MATHIAS. - Un gendarme ! Mais je ne vous ai pas appelé !

LE GENDARME. - J'ai bien entendu, peut-être ! Vous m'avez crié : « Arrêtez-le ! » Je vous arrête.

LE PÈRE MATHIAS. - Mais je ne suis pas l'assassin !

LE GENDARME. - Pardon ! C'est vous qui avez tué la femme que l'on vient de trouver dans la rue.

LE PÈRE MATHIAS, à part. - Mon Dieu ! est-ce qu'il saurait ? (Haut.) Moi ? Je ne sais pas ce que vous voulez dire ! Qui est-ce qui vous l'a dit ?

LE GENDARME. - D'abord, votre domestique qui sortait de chez vous ; ensuite, c'est la femme elle-même.

LE PÈRE MATHIAS. - La femme ! Elle n'est donc pas morte ? Ah ! je suis perdu !

LE GENDARME. - N'insistez pas ! Je vais vous mettre les menottes, suivez-moi !

LE PÈRE MATHIAS. - Moi ! arrêté ! Un propriétaire ! Jamais ! (Il prend son bâton.) N'approchez pas ou je cogne.

LE GENDARME. - Je ne connais que mon devoir et je n'ai pas peur !

LE PÈRE MATHIAS. - Eh bien, tant pis pour vous ! (Il le bat. — Bataille- — Un moment le gendarme prend le bâton, mais le père Matthias le lui reprend et finit par le tuer. Il le roule sur la planchette et le jette dans la rue.)

LE PÈRE MATHIAS. - Et maintenant, je suis réellement un assassin ! — Je n'ai plus qu'une chose à faire, c'est de me tuer à mon tour ! Mais je n'en ai pas le courage... Oh ! qu'est-ce que je vois ?... Je suis perdu.



SCÈNE X

LE PÈRE MATHIAS. LE DIABLE,
sortant de dessous. 


LE DIABLE. - Oui, tu es perdu ! Je suis le remords ! Je vais maintenant ne plus te quitter ! Je vivrai avec toi, je coucherai avec toi, tu me verras toujours, et, nuit et jour, je te dirai : « Assassin ! Assassin ! »

LE PÈRE MATHIAS. - Grâce, grâce !

LE DIABLE. - Non ! pas de grâce pour toi ! — Pose là ton bâton au milieu. (Le père Mathias obéit.) Maintenant couche-toi ; fais ta prière, tu vas mourir.

LE PÈRE MATHIAS, se couchant. - Brrr ! J'ai froid dans le dos !

LE DIABLE, prenant le bâton. - Y es-tu ? Une ! Deux ! Trois ! (Il frappe, mais le père Mathias s'est reculé.)

LE PÈRE MATHIAS. - Je ne suis pas encore mort.

LE DIABLE. - Eh bien, ça ne va pas tarder. Je recommence. (Nouveaux coups de bâton évités par le père Mathias qui finit par s'emparer du bâton et qui rosse le diable et le tue.)

LE PÈRE MATHIAS. - Encore un ! Je lui ai fait son affaire ! Ça fait trois ! La vieille Femme, le Gendarme et le Diable ! Maintenant, je ne crains plus personne ! (Il se promène fièrement, le bâton à la main.)



SCÈNE XI


LE PÈRE MATHIAS, GUILLAUME



GUILLAUME, entrant doucement et le suivant. - Il ne craint plus personne ! Mais moi je ne le crains pas et je vais remplacer la justice. (Il s'empare du bâton.)

LE PÈRE MATHIAS. - Guillaume ! Rends-moi mon bâton, polisson.

GUILLAUME, le battant entre chaque phrase. - Oui, patron ! — Le voilà, ton bâton. — Le voilà. — Le connais-tu ! Tiens ! Tiens ! (Cris du père Mathias.) Il ne bouge plus ! Il est mort ! (Il le prend et le met sur le diable resté sur la tablette.) Qu'est-ce que je vais faire de tout ça, maintenant ? Eh ! parbleu ! Je vais l'imiter et le jeter au coin de la rue ! Justice est rendue ! Quant à moi !... Eh bien, puisque le propriétaire est mort, je suis le propriétaire ! (Il sort en emportant les deux personnages.)



INDICATIONS

DÉCOR

UNE CHAMBRE (salon). Portes à droite et à gauche.

COSTUMES

LE PÈRE MATHIAS, costume de Cassandre.
GUILLAUME, Guignol ou le petit garçon.
MADAME DUCORDON, portière.
MADAME CORNILLIARD, vieille femme.
LE GENDARME, costume traditionnel.
LE DIABLE, costume traditionnel.


ACCESSOIRES

Bâton. — Le Petit Journal. — Paquet de tabac. — Bouteille de lait. (On imitera le lait avec du plâtre fin, ou plutôt de la poudre d'albâtre.)


Pour jouer cette pièce seul, placement des personnages.



MAIN GAUCHE .................... MAIN DROITE



Scène I. Le père Mathias

— II. Le père Mathias .................... Madame Ducordon.

— III. Le père Mathias

—. IV. Le père Mathias .................... Guillaume.

— V. Le père Mathias .................... Madame Ducordon.

— VI. Le père Mathias .................... Madame Cornilliard.

— VII. Guillaume.

— VI11. Le père Mathias .................... Guillaume.

— IX. Le père Mathias .................... Le Gendarme.

— X. Le père Mathias .................... Le Diable.

— XL Le père Mathias .................... Guillaume.


 



 




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