THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

MADAME TRIFOUILLON. — C'est trop d'impudence ! (Ils se battent. — Pierrot lui enlève son bonnet, son chignon se déroule.) Oh ! là là ! mon Dieu ! (Elle pleure, puis sort.)

PIERROT. — Elle se fatigue, elle cédera ! mais où donc est la tirelire ? (Il cherche partout.) Point de tirelire ! Cependant, je l'ai entendue sonner ! (On frappe à la porte.) Entrez, vous êtes chez nous ! (Le Gendarme entre.) Tiens, tiens ! vous vous êtes déguisée, ma chère madame Trifouillon.

LE GENDARME. — Qu'est-ce que vous dites ?

PIERROT. — La mascarade est parfaite, mais ne m'empêchera pas de vous épouser !

LE GENDARME. — Comment ? Sachez que je suis marié !

PIERROT. — Oui, oui, cette plaisanterie est drôle et ne me fait pas peur !

LE GENDARME. — Et j'ai sept enfants.

PIERROT. — Cela ne me fait rien, nous nous marierons, ma chère amie !

LE GENDARME. — Vous êtes un étrange personnage ! Pourriez-vous, cessant ces badinages, me dire où est un polisson nommé merle non... perroquet non, c'est un nom d'oiseau serin... geai... non.., moineau... Ah ! je me le rappelle... un drôle qui s'appelle Pierrot.

PIERROT (le tapant.) — Madame Trifouillon, vous devez bien le connaître.

LE GENDARME. — Cent-mille culottes de peau, je ne m'appelle ni Trifouillon, ni ne suis du beau sexe, je suis le Gendarme, particulier que vous êtes !

PIERROT. — Ah bah ! un vrai Gendarme ?

LE GENDARME. — Un véridique Gendarme, requis pour empoigner le nommé oiseau... je veux dire Pierrot, qui fait du tapage dans le domicile de la nommée Citrouill... Citrouillon...

PIERROT. — Vous vous êtes trompé. Elle demeure à l'autre étage.

LE GENDARME. — Le signalement vous concerne bien, donc je vous empoigne !

PIERROT. — Vous êtes marié !

LE GENDARME. — Oui, eh bien !

PIERROT. — Vous devez comprendre qu'on veuille se marier ?

LE GENDARME. — Oui, mais je vous empoigne !

PIERROT. — Vous avez-bien le temps ! (Allant à la marmite.) Prenez un peu de bouillon pour vous donner des forces et vous éclaircir l'esprit.

LE GENDARME. — Mais je suis venu pour vous empoigner !

PIERROT. — Vous avez bien le temps ! Connaissez-vous vos proverbes ?

LE GENDARME. — Eh ! mais, je suis allé en classe. Je connais toutes ces machines-là, les verbes, les pronoms, les promotions, un tas de choses inutiles pour empoigner...

PIERROT (remuant dans la marmite avec l'écumoire dont il lui donne un coup sur le nez.) — Qu'en pensez-vous ?

LE GENDARME. — Ah, çà !... le bouillon est bon, mais la cuiller est impertinente.

PIERROT. — Voici mon proverbe : Entre l'arbre et l'écorce, il ne faut pas mettre le doigt.

LE GENDARME. — Mais c'est du bouillon que nous avons là !

PIERROT. — Eh bien ! entre la cuiller et le bouillon, il ne faut pas mettre le nez !

LE GENDARME — Je n'ai appris que ma consigne... où voulez-vous en venir ?

PIERROT. — Je ne veux pas venir avec toi !

LE GENDARME. — Ah ! tu me bernes. Allons, polisson, en route ! (Il le menace.)

PIERROT (lui abattant son chapeau d'un coup d'écumoire.) — On ne garde pas son chapeau sur la tête quand on est chez quelqu'un.

LE GENDARME. — Tu veux donc m'insulter ?

PIERROT (le coiffant avec la marmite.) — Tiens ! il ne sera pas dit que tu t'enrhumeras chez moi !

LE GENDARME. — Au feu, tu m'échaudes !

PIERROT. — Laisse-moi me marier tranquillement !

LE GENDARME. — Ôte-moi ce casque.

PIERROT. — Tu t'en iras ?

LE GENDARME. — Vous boirez votre bouillon comme vous l'entendrez ! Oui, oui !

PIERROT (le décoiffant et le jetant à la porte d'un coup d'écumoire.) — Ne me fais plus bouillonner de colère. (Lui jetant son chapeau par la fenêtre.) Tu oublies tes cornes !

LA VOIX DU GENDARME. — Madame ! arrangez-vous ! je suis bien fâché, mais votre Pierrot m'a rassasié !

LA VOIX DE MADAME TRIFOUILLON. — Ah ! mon Dieu ! tout le monde m'abandonne !

PIERROT. — Excepté moi !

MADAME TRIFOUILLON (entrant.) — Monstre, scélérat, je te...

PIERROT. — Si vous faites la méchante, je vous étouffe entre deux matelas. (Il la jette sur le lit, lui met un matelas sur la tête et trouve la tirelire.) Ah ! j'ai déniché la pie !

MADAME TRIFOUILLON (courant sur lui et lui arrachant la tirelire.) — Tu m'arracheras plutôt la vie !

PIERROT. — Quelle enragée !

MADAME TRIFOUILLON. — Mes épargnes !

PIERROT. — Donne donc ! (Il tire la tirelire à lui.)

MADAME TRIFOUILLON (la reprenant.) — Je l'ai !

PIERROT. — Mais non ! (Il prend le bâton et tape madame Trifouillon.) Finissons-en !

MADAME TRIFOUILLON (se cramponnant à lui.) — Je ne te lâche pas, gueux.

PIERROT. — Mais vous m'arrachez les yeux. (Cris ; ils sortent, puis rentrent.) Mais vous voyez bien que nous sommes si unis que nous ne pouvons plus nous séparer. (Il l'assoit sur le fauteuil.) Restez là.

MADAME TRIFOUILLON (se relevant.) — Non.

PIERROT (la rasseyant d'un coup de bâton.) — Restez donc là !

MADAME TRIFOUILLON (se relevant.) — Ah ! tu crois ?...

PIERROT (même jeu.) — Mais restez-y...

MADAME TRIFOUILLON (se relevant.) — J'enrage ! Misérable !

PIERROT (la rasseyant.) — Mais restez donc tranquille.

MADAME TRIFOUILLON. — Oh ! oh ! Eh bien ! je veux bien t'épouser, canaille ! Gredin !

PIERROT. — À la bonne heure ! Un peu de persévérance ne nuit pas en affaires ! Maintenant, comme vous devez être enchantée de ce mariage, vous allez chanter.

MADAME TRIFOUILLON. — Oui, oui, j'ai le cœur à chanter.

PIERROT. — Voulez-vous chanter ?

MADAME TRIFOUILLON. — Mais c'est affreux.

PIERROT. — Allons. (Il la tape à chaque mot.)
Gai, gai, marions-nous.

MADAME TRIFOUILLON :
Mettons-nous dans la misère,
Mettons-nous la corde au cou !


PIERROT. — Non !
Gai, gai, marions-nous ! Pas un mot de plus. (Il la tape.) Allons !


MADAME TRIFOUILLON (furieuse.) — Eh bien !
Gai, gai, marions-nous !

Voilà !


PIERROT. — Vous n'êtes pas joyeuse, il faut chanter en dansant.


MADAME TRIFOUILLON. — En dansant ! scélérat. Je suis brisée des coups que vous m'avez donnés.


PIERROT. — Allons ! chantez en dansant. (Il la tape.)
Gai, gai...


MADAME TRIFOUILLON (criant, furieuse, et dansant) :
Gai, gai, marions-nous !

Mettons-nous dans la misère !


PIERROT. — Non ! non ! pas les derniers mots. Encore une petite fois !


MADAME TRIFOUILLON. — Bourreau ! coquin !
(Elle chante et danse sous les coups) :

Gai, gai, marions-nous !
Si je n'en meurs pas...


PIERROT. — Vous êtes une femme charmante ! Allons, pour la troisième et dernière fois !


MADAME TRIFOUILLON. — Oh ! infâme ! Je ne veux plus !


PIERROT (levant le bâton.) — Vous ne voulez plus ?


MADAME TRIFOUILLON. — Si ! si ! mon petit Pierrot ; si ! (Plus furieuse) :
Gai, gai, marions-nous !


PIERROT. — C'est parfait ! Je viens de m'assurer qu'outre la force de l'esprit, vous avez une bonne éducation et toutes les qualités du cœur. Vous ferez une épouse modèle. (Chantant) :
Gai, gai, marions-nous !


MADAME TRIFOUILLON. — C'est bien ! j'aurai ma revanche un de ces quatre matins, si je peux le faire pendre.


PIERROT. — Que dites-vous ?

MADAME TRIFOUILLON. — Je dis que vous me plaisez beaucoup. 


PIERROT. — Il y a bien de quoi. Mesdames et Messieurs, applaudissez à ce mariage de pure raison. 
Gai, gai, marions-nous !


FIN
 




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