LE MARQUIS. - Il n'y a pas de bon maître qui tienne ! J'ai dit. — Je te laisse, mais je ne m'éloigne pas. J'ai l'oeil sur toi ! (Il sort par la droite.)
 

SCÈNE X
 

PIERROT, seul. — La nuit tombe. Pendu ! Pendu ! Ah mais non ! Si je pouvais savoir seulement où ils ont caché leur argent !... Si je les dénonce, ils diront que ce n'est pas eux ! Quand on accuse, il faut prouver et je n'ai pas de preuves ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! que je suis malheureux ! Être pendu si jeune ! Perdre tout d'un coup une existence qui commençait si bien ! Ne plus manger de bonnes choses ! Ne plus boire de bon vin ! Ne plus dormir tout mon soûl ! Pauvre Pierrot ! (Il s'assied au pied de l'arbre de droite.)

SCÈNE XI

PIERROT, assis ; POIVROTIN, entrant par la gauche.
 

POIVROTIN, se dirigeant vers l'arbre de droite. - (À part.) Voici le moment venu pour reprendre mon trésor !

PIERROT, se levant tout à coup. - Qui va là ?

POIVROTIN, à part. - Le grand Pâlot ! Il ne faut pas qu'il s'aperçoive de ma présence ici ! Je reviendrai un peu plus tard. (Il sort par la gauche.)
 

SCÈNE XII

PIERROT, seul ; puis FRITOUILLARD, rentrant par la droite.
 

PIERROT. - J'ai reconnu Poivrotin ! C'est ici qu'est le trésor ! Mais où peut-il bien l'avoir caché. C'est peut-être sous cet arbre en face. (Il se dirige vers l'arbre de gauche.) Asseyons-nous ici... (Il s'assied.)

FRITOUILLARD, se dirigeant vers la gauche. - Allons voir si mon trésor n'a pas été déniché...

PIERROT, se levant. - Qui va là ?

FRITOUILLARD, à part. - Aïe ! aïe ! aïe ! Le grand Pâlot ! Il ne faut pas lui découvrir ma cachette... Je reviendrai. (Il sort par la droite.)

PIERROT. - C'est ce misérable Fritouillard ! Évidemment le trésor est où je suis. (Il se rassied.)
 

SCÈNE XIII

PIERROT, SAUCIQUET, entrant par la gauche.

SAUCIQUET. - Allons voir mon petit sac ! Je ne pourrais pas dormir sans ça. (Il s'avance vers l'arbre de gauche.) 

PIERROT, se levant. - Qui va là ?

SAUCIQUET. -  Brrrr ! Le grand Pâlot ! Détalons ! (Il sort par la gauche.)

PIERROT. - Sauciquet ! Voici bien mes trois coquins qui ont fait le coup ! Et le trésor est ici, j'en suis sûr ! Mais où ? (Appelant au fond.) Monsieur le marquis ! Monsieur le marquis !

SCÈNE XIV

PIERROT. LE MARQUIS
 

LE MARQUIS. - Eh bien, tu as trouvé ! J'en étais sûr ! Tu préfères rendre l'argent plutôt que d'être pendu !

PIERROT. - Non, mon bon maître ! Non, je n'ai pas trouvé, mais je suis sur les traces ! Écoutez-moi. Quand vous m'avez quitté, je m'étais assis désespéré sous cet arbre ; (il désigne la droite.) alors j'ai vu arriver, d'un air mystérieux, Poivrotin, votre maître d'hôtel, qui, à ma vue, s'est enfui.

LE MARQUIS. - Il était donc coupable !

PIERROT. - C'est ce que j'ai pensé ! Je me suis assis ensuite sous cet autre arbre. (Il désigne la gauche.) Et successivement Fritouillard et Sauciquet sont venus non moins mystérieusement et se sont sauvés quand ils m'ont vu ! D'où je conclus, puisqu'ils sont venus séparément, qu'ils se sont partagé le trésor et qu'ils l'ont caché à l'insu l'un de l'autre sous ces deux arbres.

LE MARQUIS. - Bien raisonné. Et tu as cherché ?

PIERROT. - Non, mon bon maître, j'ai préféré vous en laisser la surprise.

LE MARQUIS. - Eh bien, cherchons ! (Ils cherchent sous l'arbre de gauche.) Rien !

PIERROT, déconfit. - Rien ! Cependant Fritouillard et Sauciquet se dirigeaient de ce côté.

LE MARQUIS. - Voyons de l'autre ! (Ils fouillent sous l'arbre de droite.)

PIERROT. - Voici l'argent ! Tenez, trois sacs !

LE MARQUIS. - C'est ma foi vrai ! — Ah ! je vois ce que c'est ! C'est Poivrotin qui aura pillé les deux autres !

PIERROT. - Il en est bien capable !

LE MARQUIS. (-  Oui ! Mais c'est une supposition. Rien ne me prouve que ce ne soit pas toi qui aies caché l'argent dans cet endroit.

PIERROT. - Écoutez, mon bon maître ! Remportez votre trésor et mettez-le en sûreté ; puis revenez ici et cachez-vous. Vous allez voir vos trois voleurs qui vont revenir et alors vous ne douterez plus !

LE MARQUIS. - C'est une idée ! Donne-moi les sacs ! (Pierrot donne les sacs au marquis.) Et maintenant, partons ! (Ils sortent.)

SCÈNE XV

POIVROTIN, entrant par la gauche, et FRITOUILLARD par la droite.
 

POIVROTIN, allant à l'arbre de droite. - Volé ! C'est le grand Pâlot qui a fait le coup ! J'aurais dû m'en méfier ! Je n'aurais pas dû m'éloigner !

FRITOUILLARD, allant à l'arbre de gauche. - Volé ! C'est le grand Pâlot qui m'a joué ce tour là ! Oh ! mais il me le payera ! (Ils se détournent et se regardent.)

POIVROTIN. - Fritouillard ! Eh bien ?

FRITOUILLARD. - Poivrotin ! Eh bien ?

POIVROTIN. - Eh bien !... (À part.) Est-ce que ce serait lui ?

FRITOUILLARD, à part. - C'est peut-être Poivrotin ! (Haut.) Tu l'avais caché là ? (Il montre la droite.)

POIVROTIN, montrant la gauche. - Oui ! Et toi, là ?...

FRITOUILLARD. - Oui ! Et maintenant... Allons, avouons-le, nous sommes volés !

POIVROTIN. - Hélas ! oui ! C'est le grand Pâlot...

FRITOUILLARD. - Tu crois ? Il est bien bête ! Ce serait plutôt Sauciquet !

POIVROTIN. - Au fait, je n'y pensais pas ! Ce doit être lui ! Viens avec moi, nous allons le surprendre. Il aime tant l'argent qu'il n'aura pas voulu s'en séparer ; il l'aura caché dans sa paillasse.

FRITOUILLARD. - Allons ! (Ils sortent.)
 

SCÈNE XVI
 

SAUCIQUET, entrant avec précaution. - Mes jambes me démangent ! Il doit m'être arrivé un malheur ! Je tremble en m'approchant de ma cachette. (Il va à gauche.) Envolé ! J'en avais le pressentiment ! Plus de sac ! Plus d'argent ! Ruiné ! Serait-ce ce grand Pâlot de Pierrot ? Non ! Il eût pris de la charcuterie ou de la pâtisserie, il est si gourmand ! Mais, de l'argent ? Il ne saurait qu'en faire ! Non ! Ce sont mes complices ! C'est ce fourbe de Poivrotin ou ce brigand de Fritouillard ! Ah ! je vais les traiter de la bonne manière ! (Il sort.)
 

SCÈNE XVII LE MARQUIS, PIERROT
 

PIERROT. - Eh bien, mon bon maître, êtes-vous fixé, maintenant ?

LE MARQUIS. - Oui, mon cher Pierrot, et je te rends mon estime. Je vais chasser ces serviteurs impudents et les livrer à la justice ; quant à toi, je double tes gages et j'ajouterai un petit gâteau à tous tes repas. N'oublie jamais, Pierrot, que l'honnêteté est une vertu et que tôt ou tard la vertu trouve sa récompense.

PIERROT. - C'est égal, si vous m'aviez pendu...

LE MARQUIS. - Oh ! tu étais tellement innocent, que la corde eût cassé !

RIDEAU

INDICATIONS

DÉCOR

Une forêt. — Gros arbres formant les coulisses de droite et de gauche.

COSTUMES

LE MARQUIS DE LA BOUSTIFAILLE, costume de marquis. SAUCIQUET, costume de cuisinier. POIVROTIN, type du concierge. FRITOUILLARD, type de Guignol. PIERROT, costume traditionnel.

ACCESSOIRES

Trois sacs en toile, chacun de la grosseur d'une poire.

OBSERVATIONS PARTICULIÈRES

Pour placer les sacs au pied des arbres — on disposera, derrière les coulisses de droite et de gauche, un petit plancher mobile, (ou une poche en cuir) sur lequel on les passera.

Pour jouer cette pièce seul, placement des personnages.

                    à MAIN GAUCHE                           MAIN DROITE

Scène I.          Poivrotin

   —    II.         Fritouillard                                Sauciquet.

   —    III        Poivrotin.

   —    IV.                                                          Fritouillard.

   —    V.          Poivrotin

   —    VI.        Poivrotin                                    Sauciquet.

   —    VII.                                                        Sauciquet.

   —    VIII.    Poivrotin

   —    IX.       Le Marquis                                  Pierrot.

   —    X.                                                               id.

   —    XI.       Poivrotin                                        id.

   —    XII.     Fritouillard                                    id.

   —    XIII.   Sauciquet                                      id.

   —    XIV.    Le Marquis                                     id.

   —    XV.     Poivrotin                                     Fritouillard.

   —    XVI.                                                      Sauciquet.

   —    XVII. Le Marquis                                   Pierrot.