THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 
 LA MORALE EN BATON


d'après Louis MOURGUET - 1874 - domaine public

Pochade en un acte

PERSONNAGES :

GUIGNOL.
MADELON, sa femme.
GNAFRON, savetier.
GONNIVET, rentier.

Place publique : À gauche, la maison de Guignol.

SCÈNE PREMIÈRE

GONNIVET, seul. - Revoir mon Lyon ! Je pleure comme un veau !... Revoir ma rue du Plat, où j'étais autrefois si bien dans mon assiette !... Pendant cette longue absence, si les édifices se sont embellis, les hommes ne se sont pas rajeunis... De mes bons camarades, plus d'un sans doute manque à l'appel ; et, dans ces quartiers transformés, comment les retrouver ?... Si j'avais au moins sous la main mon brave, mon bon serviteur Guignol, si dévoué... mieux que personne il me renseignerait ; mais lui-même qu'est-il devenu ?



SCÈNE  II

GONNIVET, GNAFRON 


GNAFRON, chantant.
« Montons à Saint-Just, bombanciers...
Montons aux Quatr' Colonnes... »


GONNIVET. - Cette voix ! je ne me trompe pas... Gnafron...

GNAFRON - Mais, oui, Gnaffron, savetier, regrolleur, médecin de la chaussure humaine. Tiens, mais, bourgeois, laissez-moi donc vous, reluquer... C'est-y pas à m'sieur Gonnivet, l'ex-patron de...

GONNIVET. - Ton cousin Guignol ! Où est-il ?

GNAFRON, pleurnichant. - Mort !

GONNIVET. - Si jeune !... Ah !

GNAFRON. - Quand je dis mort... c'est enterré que je veux dire.

GONNIVET. - Comment ?

GNAFRON. - Il est marié...

GONNIVET. - Quoi ?...

GNAFRON. - Avec une chipie, une harpie, un rhinocéros de femme qui mène mon pauvre Guignol par l'endroit qui renifle, lui fait balayer la chambre, vider les équevilles, écumer la soupe, torcher le môme... et qui le bat... comme plâtre.

GONNIVET. - Elle le bat ? Ah! Ah ! Ah ! je voudrais bien voir ça... Tiens, va me le chercher, dis-lui que je l'attends à mon hôtel, rue Écorche-Bœuf.

GNAFRON - Oh ! pour ça, non, merci ; allez-y vous-même, sa tigresse de Madelon me tirerait les yeux...

GONNIVET. - Tu n'es donc plus ce gone de Lyon que j'ai connu jadis plein de vaillance ?... Va le chercher, te dis-je !... amène-le, coûte que coûte, et je vous montrerai à tous deux une racine merveilleuse, que je rapporte du Mexique et qui rend douces les femmes les plus enragées...

GNAFRON. - Bourgeois, donnez-moi-n'en tout d' suite.

GONNIVET.- Tiens !... ma racine, c'est cette canne... elle peut se remplacer au besoin par un manche à balai.

GNAFRON. - Ah ! Ah ! Ah ! compris, bourgeois, j'y cours, et je vous rapporte mon Guignol mort ou vif ! Ah ! Ah !

GONNIVET. - Je vous attends tous deux à déjeuner ; tu sais, à mon hôtel !...

GNAFRON. - Rue Écorche-Boeuf !... ma payse y tient la Souillorde.

GONNIVET. - À bientôt ! (Il sort.)


SCÈNE  III


GNAFRON, MADELON,  GUIGNOL, à la cantonade.


GNAFRON. - Oui, à bientôt !... Il m'a toujours botté, c' bourgeois-là ! N'importe, c'est pas commode... la cousine Madelon est dans le cas de m'arracher une dent (Se reprenant), je voulais dire un œil !... Essayons ! (Il appelle en frappant.) Guignol !

GUIGNOL, de l'intérieur. - Qui donc que chapote ?

GNAFRON. - Il y est ! Bon...

MADELON, de l'intérieur. Ah ! c'est toi, Pille-Rôt, vaurien, qui viens dérangeasser mon homme !

GNAFRON. - La mégère !... tenons-nous bien... (Adoucissant sa voix.) Je.... je venais, cousine, pour vous inviter à manger en famille une petite friture aux Charpennes.

MADELON. - Bien ! Bien ! Attends ! J'arrive, je vais prendre mon châle...

GNAFRON. - Elle donne dans le pont ! Ah ! ah ! au dessert nous la plantons là, et je file avec mon Guignol.


MADELON, sortant armée à un bâton. - Brigand ! Canaille ! Four-à-chaux ! trouble-paix des ménages ! (Elle le frappe.) Tiens ! Tiens !

GNAFRON. - Là ! Là ! je déménage ! (À part.) Effet de la racine... mais je reviendrai ! (Il disparaît un instant.)


SCÈNE  IV 

MADELON, seule, puis GUIGNOL, à la cantonade.


MADELON. - Pendard ! traine-grolles ! scélérat d'homme ! reviens-y ! (Se calmant.) Avec tout ça, ne laissons pas mon pauvre bibi à rien faire, pendant que je vais prendre chez l'épicière du coin un verre d'eau d'arquebuse pour me remettre le cœur. (Appelant.) Guignol !

GUIGNOL, de l'intérieur et d'une voix faible. - Femme !

MADELON. - Je sors pour un m'ment... tu rapetasseras mon casaquin, tu mettras des picarlats sous la soupe.

GUIGNOL, de même. - Oui, femme !

MADELON. - T'oublieras pas de couper du mou pour la pâtée à minet, et si tu es bien sage, je t'apporterai de bugnes en rentrant.

GUIGNOL. - Oui, femme ! (Madelon sort.)



SCÈNE  V

GNAFRON, GUIGNOL 


GNAFRON. - Partie !... bon ! la coquine ! elle m'a aplati le coquenichon... Aie pas peur ! cousine, je te revaudrai ce ronron-là ! (Il appelle.) Guignol !

GUIGNOL. - Gnafron ! c'est toi... escanne-toi vite ! si Madelon te voyait...

GNAFRON. - Descends toujours ici ! j'ai à te dire deux mots...

GUIGNOL, entrant en scène. - Que ! Quoi ?

GNAFRON. - Que ton ancien patron...

GUIGNOL. - Gonnivet ?

GNAFRON. - Il revient du Mexique !

GUIGNOL. - Oh ! Gnafron ! vrai ! tu l'as vu ?

GNAFRON. - Si bien vu, qu'il veut te voir, qu'il m'envoie te chercher.

GUIGNOL. - Mais Madelon !...

GNAFRON. - Je lui ai dit comme elle t'arrange...

GUIGNOL. - Qu'est-ce qu'il a répondu ?

GNAFRON. - Il s'est tordu les côtes en se moquant de toi.

GUIGNOL, soupirant. - Gnafron, la critique est aisée, et l'art...


GNAFRON. - L'art de redevenir un zigue, quand on a une femme acariâtre comme la tienne, consiste à lui administrer...

GUIGNOL. - De quoi ?

GNAFRON. - Une certaine racine que le père Gonnivet a rapportée de la Mère Rique...

GUIGNOL, naïvement. - Ça se prend-il en infusion ?

GNAFRON. - Non, bêta !... ça s'applique... (montrant une trique). V'là ce que c'est ! tiens !

GUIGNOL. - Je connais ça !... oui, mais tu sais, Gnafron, que le docteur m'a bien recommandé de ne pas remoucher Madelon, à cause de ses crises de nerfles et de ses évanouissances...

GNAFRON. - Laisse donc... y a des paroles pour la faire digérer. Par exemple, une supposition... Madelon arrive, tu lui expliques que tu veux-t-aller voir ton ancien maître. Elle crie ; toi, tu lui dis tranquillement : « Femme, connais-tu la racine de la Mère Rique ?... »

GUIGNOL, répétant. - Hé ! femme, connais-tu la racine de la Mère Rique ?

GNAFRON. - Bien !... Elle recrie... alors, toi, avec un petit balancement comme ça, te lui dis : « Femme, voilà la racine de la Mère-Rique. »

GUIGNOL, répétant. - La Mère-Rique, et sur ce ?,..

GNAFRON. - Il se peut qu'elle te tape... alors, tu l'y réponds avec un grrrand balancement : « Tiens, prends un peu de racine de la Mère-Rique. » (Frappant Guignol.) Pan, pan.

GUIGNOL. - T'appuies trop !

GNAFRON. - C'est pour te faire entrer la chose.

GUIGNOL. - Sois tranquille, Gnafron, tu vas voir... (Apercevant Madelon.) Madelon ! Nom d'un rat ! si elle allait...

GRAFRON. - Eh ! va donc, mon grand ! maintenant que tu connais les paroles, songe que Gonnivet nous attend, et que je me cache là pour voir comment que te vas t'y prendre. (Il se blottit derrière la coulisse.)


SCÈNE  VI

GUIGNOL,  MADELON,  GNAFRON 


MADELON, à la cantonade. - Merci bien, voisine ! (Apparaît Guignol.) Comment ! toi ici ; on ne peut donc pas sortir un moment sans que te fasses des tiennes ! pour sûr que ton travail n'est pas fait... Où que t'allais comme ça ?

GUIGNOL. - Femme, j'allais me bambaner.

MADELON. - Te bambaner sans moi, pendard ! qui t'a permis ?

GUIGNOL. - Femme, connais-tu la racine de la Mère-Rique ?

MADELON. - Ta Mère-Rique, dis-lui qu'elle vienne me parler.

GUIGNOL, brandissant son bâton. - Femme, voilà la racine.

MADELON. - Il me menace ! ah ! touche-moi donc, tiens ! (Elle le giffle.)

GUIGNOL. - Femme, prends donc un peu de racine... Pan ! pan ! (Il la frappe.)

MADELON, criant. - Au meurtre ! à l'assassin ! Ah ! mes nerfles, mes nerfles ! Ah ! Ah ! (Elle tombe sur la bande.)

GNAFRON, apparaissant. - Chapeau, Guignol, ça c'est bon pour les nerfles.

MADELON, se redressant. - Ah ! c'est toi ! traîne-grolles, m'as-tu-vu, rien qui vaille. (Elle parvient à s'emparer du bâton et frappe des deux côtés.)

GNAFRON. - Tiens-bon ! Guignol... t'es fichu si te cannes.

GUIGNOL, à Madelon. - Si tu me bassines encore, tu vas voir.

MADELON. - Tiens !

GUIGNOL, lui reprenant la trique. - Ah ! t'as pas encore assez mangé de racine (Il la frappe).

GNAFRON. - Bravo !...

MADELON. - Aïe ! Aïe ! je me trouve mal. (Elle tombe et se redresse aussitôt contre Gnafron.) C'est toi que me vaut ça... hou !

GNAFRON. - Elle me graffine ; à moi, Guignol !

GUIGNOL. - Nous voulons donc encore de cette petite racine ?





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