POLICHINELLE (reparaissant et lui jetant de l'eau avec une casserole.) — Vous l'avez voulu, tapageuse ! (Il referme la fenêtre.)
LA VIEILLE. — Oh ! quelle maudite idée que j'ai eue de sortir de chez moi pour venir voir ce qui se passait dans la rue ! (La Main reparaît, pose un pâté à terre et fait signe à la Vieille de s'éloigner.) — Oui, oui, je comprends ; c'est pour attirer ce méchant garçon ! (Elle se cache. — La Main frappe à la porte.)
POLICHINELLE (ouvrant la fenêtre.) — Ah ! ah ! tu n'en as pas assez ! ... Ah ! la Main est encore là ! (La Main lui désigne le pâté et disparaît.) Je vois bien, c'est un pâté ! Il sent bon, mais il y a quelque comédie là-dessous. Oui, oui, c'est pour m'attraper ! Il est beau, ce pâté, mais je n'irai pas ! Oh ! bah ! je puis bien descendre jusque sur le seuil de la porte. Je le sentirai de plus près. On ne pourra pas me surprendre. (Il disparaît.)
LA VIEILLE (montrant sa tête.) — Il y viendra, le beau sire !
(Polichinelle ouvre la porte. — La Vieille se cache.)
POLICHINELLE. — Oui, oui, je vois bien le piège ! C'est pour me tenter, mais je ne me laisserai pas tenter. Il embaume, ce pâté ! S'il était plus près de la porte, en m'étendant de tout mon long, je l'atteindrais. Parbleu, je peux bien faire deux pas, trois pas seulement ; si j'aperçois quelque chose de suspect, j'aurai bien le temps de rentrer dans la maison. (Il s'avance un peu avec précaution, puis recule vivement.) Ce ne peut être qu'un piège ! Et il a si bonne mine ! Avec un peu d'adresse, je leur enlève leur pâté, et qui sera penaud ? ce ne sera pas moi ! (Il avance de nouveau tout doucement.) Là, là, encore un peu plus près, j'approche ; il est vraiment superbe, ce pâté ! Encore deux pas, je le tiens ! (Il avance, et, en étendant le bras, il touche au pâté. Il se retourne.) Hein ? Ah ! je croyais avoir entendu quelque chose ! Eh bien ! ce n'est pas si difficile de s'approcher d'un pâté (Il s'approche.) et de le prendre ! ... (Au moment où il va s'en emparer, la Main surgit, le renverse d'un grand soufflet, et fait disparaître le pâté. — En même temps, la Vieille rentre dans la maison. — Polichinelle se relève.) Holà ! holà ! (Il court à la porte, mais la trouve fermée.) Je me suis laissé pincer ! (Il frappe à la porte.)
LA VIEILLE (sortant et lui donnant un grand coup de balai.) — C'est un pâté à surprise !
POLICHINELLE (reculant sous le coup.) — Ah ! maudite Vieille ! (La Main le renverse d'un coup de poing vers la Vieille.)
LA VIEILLE (le tapant violemment.) — À l'assassin !
POLICHINELLE. — Oh !... comment ! c'est moi qu'on assomme et on crie à l'assassin ! (La Vieille rentre dans la maison et la Main disparaît.) On s'en va et on croit que je me laisserai faire ! Polichinelle est battu par une vieille femme, Polichinelle est trompé, houspillé, humilié ! Polichinelle se relèvera !
(Il prend un énorme tranchoir et l'affile. — Pendant qu'il est bien occupé, la Main lui passe un bonnet d'âne par-dessus son chapeau. Il ne s'en aperçoit pas et chantonne :)
Tu verras, tra ri ra,
Ce qui arrivera !
(La Main revient et lui présente un miroir.) Tiens, tiens, tiens ! voilà un drôle de monsieur ! Bonjour, bonjour ! Dieu ! que tu es laid, mon ami ! Ah ! tu es bien coiffé ! je te conseille de faire l'aimable. (Il rit.) Voyons, as-tu bientôt fini ? Je ne veux pas que tu frétilles comme ça. Attends, je vais t'aller retrouver. (Il passe derrière la glace.) Eh bien ! où est-il passé, ce farceur ? (Il revient par devant.) Comment ! il s'est en allé sans me dire adieu ! Eh non, le voilà revenu... Ah ça, mais ! il a pris mes bosses, mon nez, mon habit, mais ce n'est pas mon chapeau ! (Il secoue la tête et fait tomber le bonnet d'âne.) Brrr, on veut me faire tourner en nourrique ! (La Main reprend le bonnet et veut le lui remettre, mais il l'évite trois fois, court à son tranchoir, refoule la Main dans le coin du théâtre et la coupe en poussant des cris jèroces) Eh ! hardi donc ! On ne fera jamais la barbe à Polichinelle ! (Une autre Main revient et avec un bâton tape trois coups sur la tête de Polichinelle. — Furieux.) Entrez ! vous n'avez pas besoin de frapper. (La Main apporte une savonnette et une serviette.) Eh bien ! eh bien ! voilà la Main gauche à présent ! Qu'est-ce que tu veux faire de tout ça ? tu m'apportes ta vaisselle ? (La Main lui présente la serviette.) Tu veux me faire la barbe ? Mais non, mais non, mais non ! (La Main lui donne des'coups de bâton.) C'est ta manière de faire la conversation, toi aussi ! Allons, mets la. serviette ! (La Main lui met la serviette. — Polichinelle soupire.) Quelle honte ! quelle abomination ! (La Main lui barbouille la figure.) Eh ! eh ! mais tu m'en mets dans les yeux ! (La Main prend le tranchoir.) C'est ça ton rasoir ? tu me prends donc pour un jambon ? (La Main se prépare à le raser ; il éternue, baisse la tête et le rasoir passe par dessus.) C'est bien la Main gauche. (Il veut se sauver, la Main le rattrape par la serviette.) Saperlotte ! c'est trop fort ! (Il s'asseoit sur la Main.) Je vais l'étouffer ! (Jetant un cri et sautant.) Oh ! elle m'a pincé !... (Il se frotte.) Perruquière !... couic !... (Il disparaît. — La Main le montre de loin et fait signe qu'elle continuera à lui rendre la vie dure. — On entend dans la coulisse des voix.)
LA VOIX DE POLICHINELLE. — Je t'en prie, Sorcier, délivre-moi de cette horrible Main !
LA VOIX DU SORCIER. — Polichinelle, es-tu corrigé ?
LA VOIX DE POLICHINELLE. — Oui, oui !
LA VOIX DU SORCIER. — Me voleras-tu encore mon déjeuner ?
LA VOIX DE POLICHINELLE. — Non, non !
LA VOIX DU SORCIER. — Eh bien, je vais te délivrer de cette Main que j'ai fait venir pour te punir.
(Entre le Sorcier avec sa baguette.)
LE SORCIER (avec sa baguette fait des signes en divers sens, auxquels la Main obéit, puis elle disparaît.) — Parafini, parafino, mano, mano, mano ! (Polichinelle entre.)
POLICHINELLE. — Brrr ! il y a quelque plaisir à être un peu tranquille !
LE SORCIER. — Que ceci te serve de leçon !
POLICHINELLE. — Écoute, Sorcier : toi, tu es malin comme un singe, je suis sûr que tu ne dis pas les vrais mots pour faire obéir ton affreuse patte.
LE SORCIER. — Comment ! tu prétends que je ne sais pas mon métier ?
POLICHINELLE. — Je te parie que tu en oublies ; répète les mots un peu, que je voie !
LE SORCIER. — Parafini, parafino, mano, mano, mano !
POLICHINELLE (à part.) — Bon, je les sais à présent ! (Haut !) c'est vrai, lu n'en as pas oublié ! (Prenant son bâton.) Vois-tu, brigand de Sorcier, moi je n'oublie rien non plus, et ton chapeau pointu va m'en dire des nouvelles (il le bat et le tue) : turlututu, ça y est ! À présent, avec le secret, je vais employer la Main à mon service ! je l'enverrai chatouiller Pierrot. (Il rit ; faisant des signes magiques.) Parais, Finette ! — oui, c'est bien ça ! — Parais Finette ! manchot, manchot ! (Regardant.) Elle ne vient pas vite ! est-elle entêtée ! C'est une main de femme ! (Avec colère.) Parais, Finette ! manchot ! manchot. (La Main apparaît avec une fourche.) Ah ! la voilà ! Va-t'en chatouiller Pierrot, vite, ma mignonne. (La Main le menace avec la fourche.) Eh ! eh !
(Courte lutte, Polichinelle est entraîné.)
FIN