THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE ROI. — Quel effet nous produisons ! Nous les réchauffons plus que le soleil ! Va ! (Pierrot part.)


DEUXIÈME PARTIE

UN CABARET. LE CABARETIER, PIERROT.


LE CABARETIER. — Ainsi, mon frère, tu arrives de chez le Roi ?

PIERROT. — Oui, notre bon Roi !

LE CABARETIER. — Et qu'est-ce que tu fais chez le Roi ?

PIERROT. — Je balaye les escaliers.

LE CABARETIER. — Tu es bien heureux !

PIERROT. — Je le serai encore davantage. Mais il s'agit d'une autre affaire : as-tu du vin de la comète ?

LE CABARETIER. — Oui, mais tu n'en auras pas !

PIERROT. — Ah bah !

LE CABARETIER. — Je ne le donne pas...

PIERROT (montrant son sac.) — Donc, j'en aurai !

LE CABARETIER. — Oh ! ! qu'il est beau, qu'il est gros !

PIERROT. — Royal ! ! Fais-moi goûter ton vin !

LE CABARETIER. — Voilà !

PIERROT. — Exquis ! exquis ! Maintenant, tu vas me prêter ta fille, ma nièce Balibubutte, pour quelques jours.

LE CABARETIER. — Comment, te prêter...

PIERROT. — Je veux la mener chez le Roi.

LE CABARETIER. — Pourquoi faire ?

PIERROT. — Pour la marier avec le Roi.

LE CABARETIER. — Tu deviens fou !

PIERROT. — Elle sera reine, je serai grand-vizir et tu seras grand-échanson.

LE CABARETIER. — Oui ! chanson !

PIERROT. — Confie-moi ta fille et une bouteille de ton vin, et notre fortune est faite. J'ai appris le moyen de parvenir ! couic !

LE CABARETIER. —Ah bah ! qui ne risque rien n'a rien. (Il sort.)

PIERROT. — Astrologue, Apothicaire, Orfèvre, unis, quelle force ! Aussi, si j'arrive, mon premier soin sera de les envoyer ad patres. (Entre Balibubutte.) Bonjour, ma jolie nièce, as-tu toujours de l'esprit ?

BALIBUBUTTE. — Tant que vous en voudrez, mon oncle !

PIERROT. — Sais-tu ce que c'est qu'une comète ?

BALIBUBUTTE. — Une étoile avec des cheveux !

PIERROT. — C'est tout à fait ton portrait. Veux-tu devenir reine ?

BALIBUBUTTE. — Sérieusement ?... Je veux bien !

PIERROT. — Le Roi m'a chargé de lui rapporter une comète, et c'est toi que je lui rapporterai. Je me charge de lui faire un bon conte. Seulement, une fois que tu seras reine, il faudra que tu lui dises que tu as eu un songe qui t'a montré clair comme le jour qu'il fallait faire pendre l'Astrologue, le Médecin, l'Orfèvre, et me nommer grand-vizir !

BALIBUBUTTE. — Rien de plus facile. On pendra tous ceux qui vous déplairont.

PIERROT. — Le Roi est un bon homme au fond.

BALIBUBUTTE. — Partons-nous ?

PIERROT. — Partons.
 

TROISIÈME PARTIE

LE PALAIS.


LE ROI (dans son lit.) — Ainsi, mon bon Médecin, mon bon ami, hélas !

LE MÉDECIN (avec une tasse, brusquement.) — Buvez ! buvez ! buvez ! Allons, que diable ! les rois meurent comme les autres. Il n'y a que le mariage avec ma fille qui puisse vous sauver !... elle connaît des simples...

LE ROI. — C'est un cruel remède !

LE MÉDECIN. — Alors, buvez ! (À part.) Il faudra bien que tu cèdes !

LE ROI (dolent.) — Ah ! que c'est mauvais !... et ce petit scélérat ne me rapportera point cette comète !

LE MÉDECIN. — Vous n'avez pas voulu exiger que l'Astrologue aille la chercher. Il trouble vos esprits et vous tourne la bile avec ses idées ridicules ! Allons, buvez ce chiendent... ce n'est pas fort commode de disputer votre peau à la mort... Si ma fille était reine !...

LE ROI. — Tu ne m'appelles plus Roi ?

LE MÉDECIN. — Ah ! il n'est plus temps de faire des façons !

LE ROI. — C'est bien ! laisse-moi seul un instant.

LE MÉDECIN (à part.) — Il a une peur horrible... Je le tiens ! (Il sort.)

LE ROI. — Est-il possible que j'aie besoin de ces êtres secondaires... Oh ! cela est bien amer, bien amer ! (Entre l'Astrologue.) Ah ! vous voilà, mon bon ami ! Eh bien ! ne me retirera-t-on pas de ce mauvais pas ?

L'ASTROLOGUE. — Cet infâme Médecin vous circonvient...

LE ROI. — Que disent les astres ?

L'ASTROLOGUE. — Ils disent que vous mourrez si vous n'épousez ma fille ! Vous êtes toujours dans les bras de ce Médecin... Il vous empoisonne, tout simplement !

LE ROI. — Et ma comète ?

L'ASTROLOGUE. — Votre comète ! votre comète ! Dépêchez-vous, la mauvaise conjonction de Mars avec Pluton se fait aujourd'hui je ne réponds plus de rien. Il n'y a que ma fille qui...

LE ROI. — C'est bien ! c'est bien !...

L'ASTROLOGUE. — Tant pis pour vous ! (Il sort.)

LE ROI. — Si je prends l'une plutôt que l'autre... je meurs... si je ne prends ni l'une ni l'autre, je meurs... (Entre l’orfèvre.) Ah ! mon cher ami, que sert l'argent quand on est dans ma position ?

L'ORFÈVRE. — Eh bien ! il y a qu'il n'y a plus un sou dans le Trésor. Il n'y a plus moyen de payer une tisane, ni quoi que ce soit... nous faisons banqueroute... on saisit tout... et vous coucherez cette nuit à la belle étoile... Pour un amateur d'astrologie, ce serait fort agréable, mais pour un malade, c'est mortel.

LE ROI. — Mais que faire... que faire...

L'ORFÈVRE. — Épousez ma fille... elle a sa dot de côté, avec laquelle vous aurez de bien meilleurs médecins et meilleurs astrologues que ces deux drôles qui se moquent de vous.

LE ROI. — Je suis perdu ! ... Mais si j'abdiquais, est-ce que je ne pourrais pas sauver ma vie ?...

L'ORFÈVRE. — Non ! non ! non ! vous la perdriez plus vite...

(On entend la voix de Pierrot :) J'entrerai ! (Une autre voix :) Vous n'entrerez pas ! (Bruit violent. — Pierrot entre. — Il se précipite avec un bâton sur l'Orfèvre.)

PIERROT. — Hors d'ici, malandrin, traître ! (Il le bat et le chasse.)

LE ROI. — Ah ! mon Dieu !... un voleur !

PIERROT. — Point du tout, c'est votre ami Pierrot, mon Roi, qui vous rapporte votre comète.

LE ROI. — Serait-il possible ! Où est-elle ? Je me sens déjà mieux !

PIERROT (allant à la porte et faisant entrer Balibubutte.) — La voici !

LE ROI. — Comment ! je vois une ravissante jeune fille, mais la comète ?

PIERROT. — C'est elle-même ! Qu'est-ce qu'une comète ? une étoile avec une chevelure. Or, n'est-ce point là une véritable étoile de beauté avec les plus magnifiques cheveux de la terre ?

LE ROI. — Je n'en disconviens pas... cependant...

BALIBUBUTTE. — Roi, voici l'exacte vérité : je suis réellement une comète, et je naviguais dans les espaces célestes quand je rencontrai notre ami Pierrot qui m'exposa vos désirs et de vous marier et de posséder une comète. Je pensai donc aussitôt qu'en prenant la forme d'une femme je comblerais vos vœux, puisque vous pourriez m'épouser, et qu'en même temps je formerais le plus beau fleuron de votre couronne... sons me vanter outre mesure.

LE ROI. — Hélas ! si je n'épouse point les filles de mes grands, je dois mourir.

PIERROT. — Balivernes ! Nous allons vous guérir ! (Il casse les fioles et les pots.) À bas toute cette pharmacie ! Nous vous apportons une liqueur souveraine à la perfection de laquelle a présidé la charmante comète que voici. On l'appelle naturellement vin de la comète. Veuillez en goûter un doigt, ô mon Roi !

LE ROI (buvant.) — Oh ! excellent ! divin !

PIERROT ET BALIBUBUTTE. — Le Roi boit ! le Roi boit ! vive le Roi !

LE ROI (se levant.) — Oui, par mon sceptre, le Roi vit ! Je suis guéri. Cette liqueur est céleste : donnez-m'en encore. (Le Roi boit la bouteille.) Eh ! de par ma couronne, comète, veux-tu être reine ? tu me parais encore plus éclatante !

BALIBUBUTTE. — Je suis venue pour cela même.

LE ROI. — Eh bien ! c'est affaire convenue. Héraut, annoncez le mariage du Roi avec la Comète... Quel nom, astre étincelant ?

BALIBUBUTTE. — Balibubutte, Roi.

L
E HÉRAUT (à la fenêtre.) — Peuples, on vous annonce le mariage du Roi Mirambole avec la comète Balibubutte, réjouissez-vous !

BALIBUBUTTE. — Mon Roi, j'ai fait un songe qui me tourmente. J'ai rêvé qu'un Astrologue...

LE ROI. — C'est étrange !

BALIBUBUTTE. — Un Médecin et un Orfèvre...

LE ROI. — Ce songe dit vrai.

BALIBUBUTTE. — Trahissaient un grand prince et le rendaient malade pour le forcer chacun à épouser son laideron de fille...

LE ROI. — Ce songe est une prophétie.

BALIBUBUTTE. — Ce grand Roi découvrait leur crime. Il faisait jeter l'Astrologue dans un puits pour aller y prendre la lune ; il donnait à manger de l'arsenic au Médecin, et ordonnait d'étrangler l'Orfèvre avec les lacets des sacs d'or volés par celui-ci.

LE ROI. — Ce rêve est la justice même. Je vais commander sur le champ qu'on en exécute les prescriptions...

BALIBUBUTTE. — Enfin ce grand monarque nommait grand vizir un jeune homme obscur, mais dévoué.

LE ROI. — Mais c'est de Pierrot qu'il s'agit !... Ce rêve a tout prévu. Pierrot, vous êtes grand-vizir.

PIERROT. — Vive le Roi !

LE ROI. — Qu'on fasse venir le Bourreau. (Le Bourreau entre.) Aiguise ton sabre ! (Le Bourreau obéit.) Nous ferons couper le cou à ces misérables pour aller plus vite en besogne ! (Entre l'Orfèvre.)

L'ORFÈVRE. — Que dit on ? un petit intrigant a guéri le Roi !

LE ROI. — Coupez le cou à cet homme !

(Le Bourreau massacre l'Orfèvre.) 

PIERROT. — Vive le Roi !
(Entre l'Astrologue.)

L'ASTROLOGUE. — Quelle est cette nouvelle ? le Roi se marie... malgré les astres... Cela ne se passera pas ainsi !

LE ROI. — Allez, Bourreau, qu'on se hâte !

(Le Bourreau tue l'Astrologue.)

PIERROT. — Vive le Roi !
(Le Médecin entre.)

LE MÉDECIN (avec sa seringue.) — Je ne le souffrirai pas... le Roi a quelque transport au cerveau, il faut qu'il se purge.

LE ROI. — Bourreau, coupez la parole à cet insolent.
(Le Bourreau tue le Médecin.)

PIERROT. — Vive le Roi !


FIN
 




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