THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LA COMÈTE DU ROI MIRAMBOLE
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55103720/f274.image

la comète du roi mirambole, theatre de marionnettes, duranty, free

Louis-Émile-Edmond Duranty

1880 - domaine public


PERSONNAGES

LE ROI MIRAMBOLE.
L'ASTROLOGUE.
LE MÉDECIN.
L'ORFÈVRE.
LE BOURREAU.
PIERROT, VALET.
LE CABARETIER.
BALIBUBUTTE.

 

PREMIÈRE PARTIE

SALLE DU PALAIS.
 

PIERROT (balayant la salle.) — Quelle chose singulière que le sort ! Je suis réduit à l'état de simple valet, tandis que tout le monde parvient autour de moi. Ô Pierrot ! Pierrot ! fasse naître le ciel une occasion, et tu seras grand-vizir !  ! Bien, quel est ce bruit ? Les grands personnages se disputent ! Hi !  Hi ! Hi !
(L'Astrologue et le Médecin entrent avec fracas en se gourmant. — Pierrot sort.) 

L'ASTROLOGUE. — Vous ne ruinerez pas mon crédit auprès du Roi... Je lui promettrai la lune et le soleil ; sa prospérité m'appartient.

LE MÉDECIN. — C'est à moi qu'il appartient, le Roi ! Je possède sa santé, je le purgerai, je le mettrai à la diète, je le narcotiserai. Il ne boit et ne mange que ce qu'il me plaît et ce que je veux.

L'ASTROLOGUE. — Oui, et comme il veut se marier, vous lui avez dit que ma fille, que je lui proposais, avait une fièvre quarte, qu'elle était étique, paralytique et poussive... Je le sais...

LE MÉDECIN. — Et vous, vous avez dit au Roi que ma nièce était née sous un mauvais astre, sous le signe du Capricorne, le signe redoutable aux mariages... Je le sais, moi aussi... et l'Orfèvre...

L'ASTROLOGUE. — L'Orfèvre ! je vous réponds que le Roi n'épousera pas sa cousine, non plus.

LE MÉDECIN. — Je droguerai si bien le Roi, qu'il épousera ma nièce.

L'ASTROLOGUE. — Par la lune ! je lui mettrai des lunettes qui lui feront voir ma fille en beau !

LE MÉDECIN. — Je lui donnerai la colique, à votre fille.

L'ASTROLOGUE. — Je te forcerai à la lui ôter !

LE MÉDECIN. — Je vous ferai perdre l'appétit et le goût du pain.

L'ASTROLOGUE. — Vil charlatan ! je te brûlerai avec un verre grossissant.

LE MÉDECIN — Misérable ! tu vas mourir ! (Il empoigne sa seringue.)

L'ASTROLOGUE. — C'est un duel à mort, soit !
(Il brandit son télescope. — Ils se battent. — Les mots : faussaire, imposteur, courtisan, drôle, coquin, accompagnent les coups. — L'Astrologue s'enfuit. — Le Roi entre. — Le Héraut sonne de la trompe et annonce : Le Roi !)

LE MÉDECIN. —Oh !


LE ROI. — Notre ventre royal n'est point libre aujourd'hui, et la fièvre insolente s'attaque à notre auguste personne. Tâtez-nous le pouls.

L
E MÉDECIN. — Oh ! fort grave... fort grave...

LE ROI. — Quoi ? comment ? parle, cher médecin, parle, mon ami. Suis-je en danger ? sauve ton ami ! Tâte-moi le ventre ! misères ! Écoute, je t'ordonne de m'empêcher d'être malade à l'avenir ! Grand Dieu ! Un roi ne peut être soumis à la colique comme le dernier de ses sujets.

LE MÉDECIN. — Mon Roi ! mon Roi ! point de transports, ils aggraveraient le mal.

LE ROI. — C'est cette question de mariage qui a troublé notre royale santé. Nos désirs ont été renversés : la fille de l'Astrologue ayant la fièvre quarte, la fille de l'Orfèvre étant née sous un signe bien repoussant, ainsi que la vôtre...

LE MÉDECIN. — Ô Roi ! voilà le sujet dont je voulais vous entretenir. Or, je soupçonne l'Astrologue de vouloir vous trahir. Ô mon Roi ! mettez seulement le dévouement de l'Astrologue à l'épreuve. Pour guérir le mal royal, il me faut mêler à mes cordiaux un peu d'essence de comète. Il faut pour un remède royal des substances divines...

LE ROI (satisfait.) — Cela est de pure évidence.

LE MÉDECIN. — L'Astrologue pourrait, s'il le voulait, procurer une comète au Roi. Indépendamment des avantages thérapeutiques, cette comète, attachée en guise de brillant au sommet de la couronne de mon Roi...

LE ROI. — Une comète étincelant sur notre couronne, c'est, par notre foi ! une belle idée... une fort belle idée que nous avons là !...

LE MÉDECIN. — Daigne le Roi se rappeler que cette idée a été entrevue par son Médecin.

LE ROI. — Drôle, prétendriez-vous nous souffler nos inspirations ?... Cette outrecuidance est inimaginable ! ... Qu'on aille chercher le Bourreau !

LE MÉDECIN. — Roi, et votre fièvre ? et votre colique ? et votre comète ?

LE ROI. — C'est bien, nous te faisons grâce.

LE MÉDECIN. — Avec cette comète au front, mon souverain aurait une prééminence marquée, céleste sur les autres princes.

LE ROI. — Par notre barbe ! il nous la faut sur-le-champ cette comète. Où est l'Astrologue ? qu'on appelle l'Astrologue. Ce joyau divin ornera notre tiare dès ce soir. Nous le mandons et l'ordonnons !

LE MÉDECIN. — Roi ! que ma gratitude monte vers vous ! (Il s'éloigne, parlant à part.) — S'il pouvait faire couper le cou à l'Astrologue. Je te vous le droguerai d'importance pour la peine ! (Il sort.)

LE ROI. — Que ces gens sont heureux de nous approcher, de nous contempler, de nous écouter !... Ah ! voici l'Astrologue.

L'ASTROLOGUE. — Que désire le Roi, favori des astres ?

LE ROI. — Nous vous ordonnons de nous procurer une comète pour ce soir, une comète pour orner notre couronne. Vous entendez ? exécutez nos ordres... allez !

L'ASTROLOGUE. — Une comète ? mais... comment... je ne comprends pas...

LE ROI. — Une rébellion !... qu'on aille cherche le Bourreau !

L'ASTROLOGUE. — Ô Roi ! je conçois parfaitement... vous désirez une comète ! (À part.) Satanée idée, par les cinq-cents diables ! il se figure qu'on a des comètes comme des petits pâtés.

LE ROI. — Cela rentre, dans vos fonctions... Il nous la faut ce soir... Nous n'attendons jamais.

L'ASTROLOGUE. — Ô Roi !... il y a comète et comète... on ne peut jamais savoir si on a une bonne ou une mauvaise...

LE ROI. — Nous avions des soupçons sur votre fidélité... ils se confirment : Holà ! qu'on aille chercher le Bourr...

L'ASTROLOGUE. — Mais, Sire, je craindrais de vous faire un présent... dangereux... embarrassant au moins... Où la mettre, le soir, cette comète ? Il me semble que l'Orfèvre remplirait mieux les désirs du Roi.

LE ROI. — Ah ! ! !

L'ASTROLOGUE. — Qu'il fasse une comète en argent... il a assez volé... ce serait une restitution... puis une réserve précieuse... l'argent est d'ailleurs un métal qui a la couleur des astres... J'exposerai la comète aux rayons des planètes, et elle en prendra l'éclat et les qualités... avec l'avantage de pouvoir se vendre ou se mettre en gage...

LE ROI. — Oh ! notre esprit royal est fertile aujourd'hui !... Que vous semble de notre pensée d'une comète en argent, Astrologue ?

L'ASTROLOGUE. — Sublime, mon Roi ! Si l'Orfèvre refuse, c'est un traître.

LE ROI. — Cette comète en argent !... Qu'on aille chercher l'Orfèvre !

L'ASTROLOGUE. — Le Médecin est mort, l'Orfèvre dans de vilains draps ! (Haut.) L'horoscope du Roi annonce que cette comète amènera un brillant et heureux mariage.

LE ROI. — Il est fâcheux que votre fille ait la fièvre quarte !... Mais ce n'est point étonnant, vous êtes toujours dans les cartes. (Il rit.) Ah ! ah ! ah !

L'ASTROLOGUE (vexé.) — Charmante plaisanterie !

LE ROI. — Vous ne riez point suffisamment... je vous ferai donner la bastonnade... quand nous daignons plaisanter pour vous récompenser...

L'ASTROLOGUE (riant.) — Ah ! ah ! ah ! ah !

LE ROI. — De quoi riez-vous, sot ? vous osez léser notre majesté quand elle se livre à de sérieuses pensées.,.

L'ASTROLOGUE. — Aïe, aïe ! (S'en allant.) Quel être quinteux et insupportable ! (Avec enthousiasme) Ô grand Roi !

LE ROI. — Les hommes sont étranges ! Ils ne savent ce qu'ils veulent. (Entre l'Orfèvre.) — Orfèvre, approchez. Nous avons résolu de vous octroyer une haute faveur.

L'ORFÈVRE (à part.) — Il va épouser ma cousine. (Haut.) Mon Roi, je suis foudroyé de bonheur.

LE ROI. — Vous nous fabriquerez pour ce soir une comète en argent, qui sera notre ornement royal désormais. Vous la fabriquerez avec votre argent... le tout sous peine de mort. Marchez !

L'ORFÈVRE. — Mais je suis réellement foudroyé ! Quelqu'un m'a joué un mauvais tour : comète... c'est l'Astrologue... Sire Roi... mon Roi...

LE ROI. — Eh bien... ?

L'ORFÈVRE. — Une vraie comète...

LE ROI. — Quoi ?

L'ORFÈVRE. — Vaudrait mieux... et ce serait surtout l'affaire de l'Astrologue !

LE ROI. — Je l'avais deviné... cet homme est un traître... qu'on lui coupe le cou !

L'ORFÈVRE. — Ô Roi ! mais une pauvre comète d'argent... tout le monde peut en avoir une, tandis qu'une véritable comète... oh ! comme cela est royal !

LE ROI. — C'est notre pensée, nous aurons deux comètes, une en argent pour tous les jours et une en lumière pour les fêtes ! Vous fournirez l'une et l'Astrologue ira chercher l'autre.

L'ORFEVRE. — Ô roi ! une seule grâce : je ne fabriquerai la mienne que lorsque mon cher ami l'Astrologue aura apporté la sienne qui me servira de modèle.

LE ROI. — Vous n'avez point besoin de nous indiquer ce que nous voulons faire... sujet irrespectueux.

L'ORFÈVRE. — Non Roi... et comme l'Astrologue pourrait tomber malade, mon autre ami le Médecin l'accompagnera pour le soigner...

LE ROI. — Qu'on lui donne un grand coup de bâton... il connaît tous nos projets d'avance et cela montre de la déloyauté. (Le Héraut frappe l'Orfèvre.)

L'ORFÈVRE. — Aïe, aïe ! (À part.) Ça m'est égal, me voilà tiré d'affaire et les deux autres sont perdus ! (Il sort.)

LE ROI (se regardant dans la glace.) — Fort grand air, en vérité ; nous sommes très beau, très beau, très beau ! très grand, très grand, très grand ! le soleil ne nous surpasse pas, nous rayonnons mieux que lui... (On frappe à la porte.) Entrez ! oh ! nous nous sommes conduit en homme. Le misérable qui nous a entraîné à cette faiblesse nous la payera. (Pierrot entre.) Ah ! c'est donc toi ! vermisseau, méprisable insecte... Qu'on le jette par la fenêtre !

PIERROT. — Roi, vous avez raison, mais laissez-moi vous contempler durant quelques secondes... puis je mourrai content.

LE ROI. — Cet insecte est ébloui !... qu'il vive encore quelques secondes !

PIERROT. — J'ai appris que le Roi voulait une comète, j'en ai une à ma disposition, je n'ai qu'à l'aller chercher.

LE ROI. — Que siffle ce vermisseau ?

PIERROT. — L'Orfèvre, le Médecin et l'Astrologue sont trois vieux podagres incapables d'une pareille entreprise et qui ne songent qu'à se débarrasser l'un de l'autre, chacun voulant rester seul à jouir du bonheur de voir le Roi !

LE ROI. — Fourmi téméraire !

PIERROT. — Je suis jeune, actif, adroit, vigoureux, j'aime sincèrement mon Roi : qu'il commande, il aura sa comète ce soir !

LE ROI. — Nous savons et prévoyons tout. Nous savions tes desseins, nous connaissions le mauvais esprit qui anime nos grands.

PIERROT (à part.) — Eh bien, il ne manque pas d'amour propre ! (Haut.) Alors, je pars !

LE ROI. — La comète ou la vie ! sache-le bien, ver de terre !

PIERROT. — Il ne me faut qu'un peu d'argent pour les frais de route.

LE ROI. — Ce garçon me plaît comme me plaisaient les autres, il y a vingt ans ! Oh ! mouvement trop humain et non royal ! Eh bien ! pars, moucheron ! Qu'on lui donne de l'argent. (Le Héraut donne un sac à Pierrot.)

PIERROT (faisant sauter le sac.) — Vive le Roi !
 




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