THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LA CHAMBRE 28

COMÉDIE EN UN ACTE

Darthenay,

1890

domaine public


PERSONNAGES
MONSIEUR PEDROFIN, voyageur.
MONSIEUR AUGRATIN, maître d'hôtel.
PREMIER CLIENT.
DEUXIÈME CLIENT.
MADAME PARTROVIVE, voyageuse.
MADAME AUGRATIN, maîtresse d'hôtel.
AUGUSTINE. bonne de l'hôtel.



ACTE PREMIER

 

AUGRATIN. - Voilà certes une saison qui s'annonce mal. J'ai beau faire de la publicité pour faire prendre mon hôtel, rien ne peut me réussir ! Une maison de premier ordre, située dans le plus riche quartier de Lubin, une des plus importantes ville d'eaux. Je fais ma cuisine moi-même, et je la mange de même moi-même faute de clients. J'avais une dame, elle est partie tout à l'heure. Je la faisais manger dans sa chambre afin qu'elle ne s'aperçoive pas que la maison était vide, je lui avais dit que c'était plein à la table d'hôte. Comme elle avait le caractère assez bien fait, elle s'était conformée à toutes mes exigences, je lui faisais même prendre l'escalier de service pour éviter de balayer le grand. Oh, si ça continue comme ça je suis un homme perdu, déshonoré !

AUGUSTINE. - Monsieur ! Voilà un client !


     (Augratin se précipite vers la porte en bousculant Augustine qu'il entraine avec lui. La scène reste vide pendant quelques secondes.)


AUGRATIN. - Nous y voilà, Monsieur, par ici, na ! Vous y êtes !


PERDROFIN. - Ah ! je suis tout essoufflé ! C'est un peu haut ! Enfin j'aurai de l'air, et vous dites que c'est tout ce que vous avez ?


AUGRATIN. - Mon Dieu oui, Monsieur, l'hôtel est au grand complet, je n'ai plus que cette chambre.


PERDROFIN. - Alors c'est bien, je la choisis. (Au public.) il ne faut pas se montrer trop exigeant, il parait que l'on ne peut pas se loger à Lubin cette année, tellement il y a du monde, c'est pourquoi il faut savoir se plier aux exigences des hôteliers. (À Augratin.) Alors combien louez-vous cette chambre ?


AUGRATIN. - Soixante-quinze, Monsieur.


PERDROFIN. - Avec deux repas ?


AUGRATIN. - Sans repas aucun, ou alors avec la nourriture comprise, c'est cent-cinquante.


PERDROFIN. - Oh, que c'est cher !


AUGRATIN. - Pardon, Monsieur, c'est le prix, et ce n'est pas en entrant que vous allez commencer par réclamer. Qu'est-ce que ça serait donc en sortant alors ? Notez, Monsieur, que nous ne recevons pas de plaintes, et chaque client au contraire emporte en nous quittant des cartes de la maison pour distribuer à ses amis et connaissances.


PERDROFIN, avec une grande révérence. -Parfaitement, du moment que c'est l'usage, je m'y conformerai Alors dites-moi, vous allez me faire garnir le lit, n'est-ce pas ?


AUGRATIN. - Garnir le lit ? Comment ça, garnir le lit ?


PERDROFIN. - Sans doute, voyons vous allez y mettre des draps.


AUGRATIN. - Des draps ? Comment ? Monsieur n'a pas apporté les siens ?


PERDROFIN. - Ah ! ça, voyons, vous plaisantez ! Il me semble que partout on fournit les draps aux voyageurs.


AUGRATIN. - Je vous demande pardon, Monsieur, chez moi, ça ne se fait pas c'est une habitude que certains confrères ont conservée peut-être ! Si je fournis les draps c'est trente euros de plus par jour.


PERDROFIN, au public. - J'aime encore mieux ça que de coucher à la belle étoile. (À Augratin.) Enfin soit, donnez-moi des draps Et puis demain matin vous me réveillerez à quatre heures pour que j'aille prendre ma douche.


AUGRATIN. - Ah ! ça, Monsieur, c'est impossible, il ne faut pas compter la-dessus.


PERDROFIN. - Parce que ?


AUGRATIN. - Mais parce que à cette heure-là nous dormons tous ici, et nous n'aimons pas être dérangés. Quand on travaille le soir il faut bien se reposer un peu le matin.


PERDROFIN. - C'est juste, vous avez raison, et alors quelle heure me permettez-vous de prendre ?


AUGRATIN. - Allez-y vers huit ou neuf heures.


PERDROFIN. - Bon, c'est entendu, je vous sonnerai pour que l'on vienne me réveiller ! À propos, où donc est la sonnerie ?


AUGRATIN. - Oh ! la sonnerie, il n'y en a pas ! Pas si bête ! Figurez-vous que j'avais fait mettre de ces sonneries électriques qui sont si agaçantes. Nous avions des clients qui étaient pendus après toute la journée, c'est moi qui vous ai enlevé ça bien vite.


PERDROFIN. - Mais cependant si j'ai besoin de quelque chose ?


AUGRATIN. - Eh bien, quoi ? Un quatrième, qu'est-ce que c'est que ça ? descendre, ça vous donne de l'exercice, faut-il pas encore que je vous fasse mettre un ascenseur hydraulique ! Non, c'est incroyable comme les clients deviennent exigeants.


PERDROFIN. - Je vous demande pardon, et je vous prie d'excuser mon indiscrétion.


AUGRATIN. - Allons, je vous quitte, vous comprenez que je n'ai pas que ça à faire, si tous les clients me retenaient aussi longtemps, jamais le service ne se ferait. (Il sort. Perdrofin reste en extase, stupéfait.)


PERDROFIN. - C'est égal, c'est dur tout de même, de plier ainsi sous les exigences de ce marchand de sommeil. Enfin patientons. Je voudrais bien me reposer un peu ; allons bon, il n'y a seulement pas une chaise. Je ne peux pourtant pas descendre quatre étages et les remonter avec une chaise, pour me reposer dessus ensuite. (Il appelle d'une façon comique.) Eh ! psitt ! Pi-ouittt ! Prouttt ! Oh ! hé là-bas ?


MADAME AUGRATIN. - Qu'est-ce que vous voulez, Monsieur ? Il ne faut pas faire tant de tapage, nous ne recevons généralement ici que des gens comme il faut.


PERDROFIN. - Je n'en doute pas, Madame ! Dites-moi ? Voulez- vous avoir la bonté, l'extrême obligeance, la complaisance, de me faire monter une ou deux chaises.


MADAME AUGRATIN. - Des chaises ! Comment des chaises ? Ah ! ça, est-ce qu'il n'y en a pas dans la salle à manger, des chaises ? Merci alors, si nous en mettions encore dans les chambres, il en faudrait un matériel. Et c'est pour ça que vous me dérangez ? Oh c'est trop fort ! (Elle s'éloigne.)


PERDROFIN, criant dans l'escalier. - Je vous demande pardon, Madame, je ne le ferai plus. (Revenant.) C'est trop fort tout de même ça, je commence à croire qu'on se moque de moi ici. Enfin patientons, je chercherai ce soir si je trouve mieux, et alors je me vengerai en leur brûlant la politesse. Je vais aller voir la salle à manger et m'asseoir un peu, puisqu'il y a des chaises dans la salle à manger ! (Il sort.)


MADAME PARTROVIVE. - Ah ! bien il était temps ! quelques minutes de plus, j'étais partie ! J'ai trouvé une lettre de mon mari, à la poste, par laquelle il m'informe qu'il va venir passer quelques jours ici, j'en suis bien aise, ma foi, car ce petit pays me plaît, et cet hôtel donc, jamais je n'ai trouvé une tranquillité plus parfaite. Il paraît que c'est plein et on y entendrait une mouche voler. Je suis heureuse de rentrer en possession de cette petite chambre. Allons bon, le lit est défait, j'aurais cependant été bien aise de faire un petit somme avant le déjeuner, car je me suis levée à quatre heures du matin et j'ai attendu mon mari qui devait arriver par le train de cinq heures ; sans doute il l'aura manqué. Ma foi, je vais me reposer sur cette banquette faute d'autre chose. (Elle souffle sur la tablette, puis essuie la poussière qui paraît s'y trouver. Elle se couche enfin et s'endort en ronflant. Ce ronflement prend des proportions énormes, au point d'attirer les voisins. On entend frapper.)

PREMIER CLIENT. - Mais voyons, ce n'est pas tolérable un tapage pareil !
(Appelant.) Madame ! (Sans cesser de ronfler, elle lui donne un coup de poing sur la figure.) Aïe ! (Cette scène peut se renouveler deux ou trois fois.) Mais ce n'est pas une dame, c'est une machine à vapeur. Comprend-on une chose pareille, moi qui ai passé la nuit en chemin de fer, j'arrive ici, et le propriétaire m'assure que la maison est tranquille. Je vais chercher un bâton. (Il sort et revient aussitôt avec un bâton, il tape de toutes ses forces sur la tablette à côté de la tête de Mine Partrovive, qui ronfle toujours d'une façon scandaleuse.) Oh ma foi, j'aime mieux quitter l'hôtel !


DEUXIÈME CLIENT, en chemise et avec un grand bonnet de coton sur la tête. - Ah ça, peut-on dormir ici, oui ou non ? (Même jeu de Madame Partrovive. En se baissant il lui chatouille le visage avec la mèche de son bonnet de coton, elle éternue d'une façon exagérée ; cette scène peut également se prolonger, sans exagérer. Comme elle paraît se réveiller, il se sauve.)


MADAME PARTROVIVE. - Mais qu'est-ce qui me chatouille donc comme ça ? (Elle se tourne du côte opposé, par où rentre Monsieur Perdrofin, et celui-ci, regardant également les coulisses, arrive en même temps quelle au milieu de la scène où ils se cognent brusquement et se retournent, stupéfaits pour se voir.) Qu'est- ce que vous demandiez, Monsieur ?


PERDROFIN. - Madame, j'allais vous faire la même question. Qu'est-ce que vous demandez ?


MADAME PARTROVIVE. - Monsieur, ce n'est pas ça que je vous demande, je vous demande ce que vous demandez ?


PERDROFIN. - Moi aussi, Madame.


MADAME PARTR0V1VE. - Monsieur, il est fort inconvenant de pénétrer ainsi chez une dame seule, aussi je vous prie de... (Elle lui fait signe de sortir.) Allons, allons dépêchons !

PERDROFIN. - Mais pardon, Madame, il y a erreur, je suis ici chez moi.


MADAME PARTROVIVE. - Chez vous jamais de la vie, c'est moi qui suis chez moi.


PERDROFIN. - Vous vous êtes sans doute trompée d'étage, vous habitez peut-être au-dessus ou au-dessous.


MADAME PARTROVIVE. - Pas du tout, la chambre vingt-huit.

PERDROFIN. - Justement la chambre vingt-huit, elle est à moi.


MADAME PARTROVIVE. - Depuis quand s'il vous plaît ?


PERDROFIN. - Mais depuis vingt et quelques minutes.


MADAME PARTROVIVE. - Eh, bien ! moi, Monsieur, je l'habite depuis vingt-et -un jours, je suis plus ancienne en date.


PERDROFIN. - Mais moi, je suis le dernier inscrit !


MADAME PARTROVIVE. - Ça, par exemple, je m'en moque ! Vous allez me faire le plaisir de sortir, n'est-ce pas, et que ou ne soit pas long.


PERDROFIN. - Ah Madame, permettez !


MADAME PARTROVIVE. - Je vous permets de sortir, c'est tout ce que je peux faire pour vous. Vous ne voulez pas ?


PERDROFIN. - Pour sûr que non.


MADAME PARTROVIVE. - Eh bien ! je vous dis que vous sortirez. (D'un vigoureux coup de tête, elle l'envoie rouler dans les coulisses où il disparaît complètement.) C'est trop fort ça, on ne peut plus être tranquille chez soi maintenant. Et mon mari n'arrive toujours pas ! Comme c'est amusant d'attendre ainsi. (On entend frapper.) Allons, qui est-ce qui est là ?


AUGRATIN. - C'est moi, Madame.


MADAME PARTROVIVE. - Allons qu'est-ce que vous voulez ?


AUGRATIN. - Je voulais dire à Madame, qu'après le départ de Madame, j'ai été obligé de louer cette chambre à un Monsieur.


MADAME PARTROVIVE. - Il ne le fallait pas, vous avez eu tort.


AUGRATIN. -. Mais Madame voudra bien comprendre cependant...


MADAME PARTROVIVE. - Je comprends que je suis bien ici, cette chambre me plaît, j'y suis et j'y reste.


AUGRATIN. - Je pourrais cependant pour arranger les choses donner à Madame une chambre au-dessous.


MADAME PARTROVIVE. - Je n'en veux pas !


AUGRATIN. - Beaucoup plus grande !


MADAME PARTROVIVE. -. Je n'en veux pas !


AUGRATIN. - Je la compterais même moins chère !

MADAME PARTROVIVE. - Je vous répète que je n'en veux pas !

AUGRATIN. - Alors je me vois forcé de dire à Madame...

MADAME PARTROVIVE. - Ah ça, voulez-vous me laisser tranquille. (Elle saute sur lui et d'un coup de tête le lance dans la coulisse.) Se figurent-ils que je suis une femme à me laisser ainsi conduire par le bout du nez. Le premier qui se présente, je l'assomme. (On entend frapper.) Qui est là ?


MADAME AUGRATIN. - Mon mari ne s'est probablement pas bien expliqué, Madame, et vous n'avez sans doute pas dit votre dernier mot.


 




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