THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE COMTE. - C'est l'émotion, le chemin de fer. Il s'était tenu jusqu'à présent. Nannette, emmenez ce bon Mirault, ses puces et le reste.

NANNETTE. - Viens, mon chéri, viens ! t'auras du sucre. (Elle sort avec le chien.)

LE COMTE. - Ah çà ! où en sommes-nous du mariage ? Est-ce l'heure du curé, du maire ? (imitant la trompe de chasse.) Tarata, taratata !...

HYBLÉA. - Mais nous ne comptions plus sur vous et je suis mariée depuis midi.

LE COMTE. - Mariée ! sonnons l'hallali ! (Il chante.) Taratata, tarata ! Alors passons à table.

MADAME DE BONBRICOULAND. - On a fini de dîner ; mais il y en a encore.

LE COMTE. - Je l'espère bien ! Ah çà ! et le jeune marié, tu vas me le présenter. Où est-il l'époux fortuné ?



SCÈNE VII


BALANDARD, LES PRÉCÉDENTS.


BALANDARD. - Tiens ! mon vieux compagnon de chasse !

LE COMTE. - Balandard ! l'ami Balandard. Bonjour, Ernest, enchanté de vous trouver à cette petite noce. Comment vous trouvez-vous ici ?

BALANDARD, à part- Pourquoi m'appelle-t-il Ernest ? je me nomme Pierre. Quel vieux toqué !

CORISANDE. - C'est moi qui ai amené Monsieur Balandard.

LE COMTE. - Ah ! tu connaissais Ernest, tu ne me le disais pas. Oui, oui, il est un de mes bons amis. Chasseur comme moi, bon enfant comme moi, riche comme moi. Ah ! nous allons en découdre de la plume et du poil ! Il y a de belles chasses par ici ! (Il chante.) Tarata, tarata ! Dis donc, Ernest, as tu regardé ma nièce ? Est-elle assez gentille ? Hein ! quelle tournure ! Quel galbe ! Tu vas la faire danser. Ah çà ! mes petites chattes, vous allez me faire souper, j'ai faim, nous avons faim, n'est-ce pas Ernest ?

BALANDARD, à part- Il tient à son Ernest ! (Haut.) Merci, j'ai dîné et dansé copieusement !

LE COMTE. - Comme tu voudras !

CORISANDE. - Venez, mon père, je vous tiendrai compagnie.

LE COMTE. - Toujours bonne, toi ! Bonsoir, Ernest ! (Tous sortent.)



SCÈNE VIII


BALANDARD, chantant-
Je chassais, dans mes grands bois,
Avec mes bons chiens de chasse,
Je chassais, dans mes grands bois,
Tous les gibiers à la fois. 
Voilà pour ce vieux toqué ! Corisande, sa fille ! c'est drôle ! (On entend les sons d'un orchestre.) Je ne sais pas si cette petite fête de famille va se prolonger longtemps. (Une heure sonne.) Mais j'en ai assez !... Où diable m'a-t-on niché ?... Encore si je savais à qui m'adresser pour avoir mon petit baluchon ? Les domestiques sont affairés ou plutôt effarés. (Il aperçoit son sac de nuit sur un fauteuil.) Ah ! parbleu ! voilà mon chapeau, mon paletot, mon sac !... Évidemment c'est là ma chambre. Pas laid, l'ameublement, style Louis XV. (Il va au lit.) Un vrai vieux lit... Ça a l'air propre. De bons gros rideaux de soie brochée... On ne fait plus ces étoffes-là ! On fait mieux et moins bien... Comme je vais dormir là dedans ! (Tout en te déshabillant.) Elle est très gentille, la jeune mariée, l'air décidé, moqueur... Je la crois un peu coquette... Le marié... commun... un prédestiné... un minotaure... (Il prend un flambeau et ouvre la porte du cabinet.) Cabinet de toilette et tout ce qu'il faut. (Il entre et ressort.) On fait bien les choses à La Châtre. (Il va à la porte d'entrée.) Si je m'enfermais ?... Ah bien ! oui, ni clef, ni verrou !... (Il revient et pose le flambeau sur la table de nuit.) On entend bien un peu la musique, mais c'est supportable ! D'ailleurs, je ne hais pas un petit air pour m'endormir. (Il se couche.) Oh ! le lit est parfait !... C'est un beurre, (Il souffle la bougie.) Il s'agit de rattraper la nuit de Châteauroux... Comme il fait clair ! Est-ce que c'est déjà le jour ? (Il regarde du côté de la cheminée.) Eh non ! C'est l'autre bougie. (Il souffle de son lit.) Trop loin ! Ah ! ma foi, tant pis ! je ne me relève pas. Elle s'éteindra quand elle trouvera qu'elle a assez brûlé. (Il éternue.) Voilà que je m'enrhume. J'ai perdu mon bonnet de coton dans l'incendie et je n'ai pas pensé à en acheter un autre. Mais qu'est-ce que c'est que ça ? un bonnet de femme, de nuit... aimable attention de mes hôtesses. (Il met le bonnet de nuit de madame de Bonbricouland.) C'est parfait ! Ça tient chaud aux oreilles... je m'en ferai faire une demi-douzaine comme ça... avec des brides... A-t-elle les yeux vifs cette jeune mariée ?... des petits soleils... Si je dormais au lieu de penser à la femme d'autrui ?... Ah ! que je suis bavard ! (Il tire les rideaux et s'endort.)



SCÈNE IX

HYBLÉA, CORISANDE, BALANDARD, endormi.


     Les deux femmes passent. Hybléa entre dans le cabinet de toilette. Corisande se tient auprès de la porte entr'ouverte.


HYBLÉA. - Monsieur Balandard a disparu. Il s'est éclipsé sans rien dire. Et moi qui comptais sur lui pour conduire le cotillon !

CORISANDE. - Ma chère enfant, il a bien le droit d'aller se reposer. Je pense qu'il t'a assez fait sauter, tu n'en avais que pour lui.

HYBLÉA. - Ma petite tante, il est mieux que mon mari, n'est-ce pas ?

CORISANE. - Tu dois trouver ton mari mieux que tous les autres. As-tu bientôt fini ?

HYBLÉA. - Je mets un peu de poudre de riz... un nuage... j'avais si chaud !

CORISANDE. - Allons, viens donc, petite folle.
     
(Hybléa rentre en scène, elles sortent et laissent la porte ouverte.)

BALANDARD, se réveillant au bruit, écarte les rideaux- Eh bien, quoi ?... qu'est-ce que c'est ? J'avais déjà perdu connaissance... Je rêve... (On entend jouer une valse.) Ah ! je la connais cette valse. C'est toujours la même ! Pas variée, la musique de La Châtre... (Deux heures sonnent.) Est-ce que la scie des pendules va recommencer ici comme à Châteauroux ? Non, il n'y a que celle-là et le timbre est faible... (Il tire les rideaux et se rendort. L'air de la valse continue. Un monsieur et une dame entrent en valsant.)


SCÈNE X


BALANDARD, endormi ; UN MONSIEUR, UNE DAME.


LE MONSIEUR. - Ici, au moins, nous pouvons valser à l'aube.

LA DAME. - C'est bien vrai, dans le salon, on est serré comme des harengs ! Pressez le mouvement !

LE MONSIEUR. - Vous n'êtes pas fatiguée ?

LA DAME. - Oh ! jamais. Pressez... pressez le mouvement... Ah ! que vous êtes mou, Edmond ! (Ils sortent en valsant et laissent la porte ouverte.)

BALANDARD, entrouvrant les rideaux-Quel vent !... c'est un tourbillon... c'était comme une danse échevelée !... Bah ! il n'y a personne... rien !... je rêve ! j'ai le cauchemar !... Comment ? ils dansent encore ?... (La valse s'arrête.) Ah ! la valse est finie ! ce n'est pas malheureux ! (On entend jouer une polka.) Ah bien, oui, je l'en fiche ! c'est une polka à présent. (Répétant l'air.) Ti ti ti, ta ta ta... ti ti, ta... Sont-ils bêles avec leur noce !... mais il faut que je sois encore plus bête d'y être venu !... qu'est-ce que je fais ici... je me le demande ? (Il répète l'air.) Ti ti ti, ti ti ti... Assez ! au diable les airs polonais ! (Il donne un coup de poing dans son oreiller et tire les rideaux. Il se rendort.)


SCÈNE XI


BALANDARD, endormi ; LE COMTE, VACHARD ;
DEUX INVITÉS en cravate blanche et habit noir.


LE COMTE. - Dites donc, mon cher neveu, désormais, puisque les invités envahissent le salon de jeu, retirons-nous ici. Nous y serons très bien pour faire la partie.

VACHARD. - Parfaitement, je déteste la danse et surtout les danseurs qui piétinent mes cors.

LE COMTE. - Vous avez des cors... de chasse ?

VACHARD. - Oui, c'est de naissance.

LE COMTE. - Alors vous êtes né botté.

PREMIER INVITÉ. - Messieurs, si nous faisions un whist ?

VACHARD. - Je l'ignore complètement, complètement.

DEUXIÈME INVITÉ. - Alors on fera un mort.

VACHARD. - Un mort ? un jour de noce, c'est lugubre.

LE COMTE. - Messieurs, si nous faisions un domino à quatre ? En remuez-vous ?

VACHARD. - Parfaitement, j'y suis même très fort.

PREMIER INVITÉ. - Vous êtes de l'école du National ou du Cheval blanc ?

VACHARD. - Comprends pas. Je suis de l'école de Saumur.

DEUXIÈME INVITÉ. - Le commandant vous parle domino et non cavalerie.

VACHARD. - Parfaitement ! où nous mettons-nous ? là, près de la cheminée ! poussez la table, faites le jeu. Si vous avez la boîte, brouillez ! (Ils s'installent.) Qui fait ? Moi ! Commandant, nous sommes ensemble. Attention ! je pose du six.

LE COMTE. - C'est assez visible, le double six. Je parie que vous n'en avez pas d'autres. Six blanc !

VACHARD. - Je boude.

PREMIER INVITÉ. - Moi aussi.

LE COMTE. - Je m'en doutais. Avec du deux.

DEUXIÈME INVITÉ. - Voilà !

LE COMTE. - Pardon, ça ne va pas ; c'est du trois, c'est un lièvre ! quel beau lancer ! (Il chante.) Taratata, taratata !

VACHARD. - Taratata, taratata, si mon partenaire n'a pas de deux.

LE COMTE. - Alors, mon neveu, du six partout. Personne n'en a que moi. Abattons et comptons, quinze, dix-huit, vingt-quatre. Quelle culotte ! ah ! vous n'êtes pas fort !
(Un bruit sec et sonore part du lit ou dort Balandard.)

LE COMTE. - Hein ! c'est vous, capitaine ? ne vous gênez pas.

VACHARD. - Nullement ! je ne me permettrais pas cette licence.

PREMIER INVITÉ. - C'est la demie qui sonne.

DEUXIÈME INVITÉ. - Vous êtes en retard.

VACHARD. - Silence, messieurs. Ça part de là-bas ; madame ma belle-mère est couchée.

LE COMTE. - C'est son secret. Soyons discret. (Il fredonne.) C'est un putois, c'est un sournois, taratata !

PREMIER INVITÉ. - Messieurs, retirons-nous sans bruit.
(Ils sortent discrètement en riant tout bas et referment la porte derrière eux.)

BALANDARD, écartant le rideau. - Qui est-ce qui piétine donc comme ça ? (On entend jouer une quadrille.) La petite fête va son train... on ne se couche donc plus quand on se marie. Elle est enragée, cette petite Hybléa ! Gentille, mais enragée... (Trois heures sonnent.) Trois heures ? c'est un sommeil à bâtons rompus... la musique cesse. Ah ! ça se calme... on ouvre les portes. Dieu merci ! C'est la fin du bal. (On entend le cliquetis des verres, le brait des assiettes...) Je crois, Dieu me pardonne ! qu'ils mangent... On soupe... Si j'y allais ?... non ! je n'ai pas faim... j'aime mieux dormir. (Il se rendort. On entend sonner l'angélus.)

BALANDARD, s'éveillant. - Qu'est-ce que c'est que cet air-là ?... l'angélus ! ah ! mais c'est assommant... Elle va se taire cette cloche. Elle a un joli son, je ne dis pas, mais faut pas que ça se prolonge, ça porte sur les nerfs ! Dig, din don ; dig, din don !... Elle est en mineur. Qui est-ce qui a inventé les cloches ? À coup sur, c'était un beau dormeur ou un sourd... Ah ! C'est fini !... (Il se rendort. On entend les sons d'une cornemuse et d'une vielle qui jouent une bourrée et le pas cadencé des danseurs.)

BALANDARD, se réveillant en sursaut. - Qu'est-ce qu'ils font ? quel est ce vacarme ?... ces frappements de talons de bottes ?... ces cris sauvages ? Ils vont défoncer le plancher !... c'est probablement la bourrée... la danse nationale de l'endroit !... Ils ont l'air d'y prendre goût !... Si ça continue comme ça, je demande à changer de chambre. (Le bruit cesse.) Ah ! ça se calme, la danse du pays... la foule se disperse. (Il fredonne l'air de Malborough :)
La cérémonie faite,
Mironton, mironton, mirontaine,
La cérémonie faite,
Chacun s'en fut coucher.
Les uns avec leur femme...
(Il se rendort.)


SCÈNE XII


BALANDARD, endormi ; HYBLÉA.


HYBLÉA. - Oh ! non, par exemple ! pas ce soir ! Maman doit être rentrée chez elle. Oui, la voilà ! Elle dort. Ah ! tant pis, je vais la réveiller. Maman !... maman !...

BALANDARD, s'éveillant. - Hein ? Hum !

HYBLÉA. - Maman, gardez-moi près de vous.

BALANDARD, à part. - Tiens, tiens, tiens !

HYBLÉA. - Maman, je vous en supplie ; je suis très fatiguée... Permettez-moi de rester.

BALANDARD, contrefaisant sa voix. - Reste, mon enfant, reste !

HYBLÉA. - Ah ! merci, maman.
     
(On frappe à la porte, Hybléa se sauve dans le cabinet de toilette et tire la porte sur elle.)



SCÈNE XIII


LES MÊMES, VACHARD.


VACHARD, entre. - Pardon, madame ma belle-mère, si j'entre incontinent... Mais je cherche ma femme. (Balandard ne répond pas.) Vous dormez ? Désolé de vous déranger... désolé... désolé... un simple renseignement, s'il vous plaît. L'avez-vous vue ?... Pas de réponse ! c'est pas une belle- mère, c'est une pierre ! Où diable s'est cachée ma femme ?... (Il va pour sortir et se trouve face a face avec madame de Bonbricouland.) Qu'est-ce que ça veut dire ?


SCÈNE XIV


LES MÊMES, MADAME DE BONBRICOULAND.


MADAME DE BONBRICOULAND. - Que voulez-vous, monsieur Vachard ?

VACHARD. - Je veux... je veux ma femme. C'est donc elle qui est couchée là ? Je croyais que c'était vous.

MADAME DE BONBRICOULAND. - Comment, couchée là ? (Elle s'approche du lit et ne reconnaît pas Balandard coiffé de son bonnet de nuit et le nez tourné à la muraille. — À Vachard.) Eh bien, monsieur Vachard, c'est que ma fille désire rester près de moi cette nuit. Cela ne peut pas vous inquiéter. Respectez la pudeur d'une jeune fille. Je présume que vous êtes un homme bien élevé. Retirez-vous.

VACHARD. - Mais...

MADAME DE BONBRICOULAND. - Mais !... vous êtes chez moi, monsieur, retirez-vous.

VACHARD. - Je... je... je me retire. (Il sort.)

MADAME DE BONBRICOULAND, à Balandard. - Allons, ma fille ! Tu te caches, tu pleures. Je comprends bien ça. Console-toi, il est parti ! Je vais me déshabiller et nous passerons la nuit ensemble. (Elle entre dans le cabinet.)

BALANDARD. - Ah l mais non, par exemple ! c'est une autre paire de manches.


SCÈNE XV

NANNETTE, portant une seringue ; BALANDARD.


NANNETTE. - Madame, je vous apporte votre café au lait.

BALANDARD. Du café au lait ? ça me dérange. D'ailleurs je n'en prends jamais de ce côté-là ! (Il gigote et chasse Nannette à coups de pied.)

NANNETTE, épouvantée. - Ah ! mon Dieu ! un homme dans le lit de madame ! Elle s'enfuit.






Créer un site
Créer un site