THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LA CHAMBRE BLEUE

Comédie de famille, mêlée de chiens et de bruits, en un acte.


Sand, Maurice.

1890 - domaine public.

 

PERSONNAGES

LA COMTESSE DE BONBRICOULAND.
HYBLÉA, sa fille.
CORISANDE, sa nièce.
ROSALIE, sa femme de chambre.
NANNETTE, sa cuisinière.
LE COMTE DES ANDOUILLERS, son frère.
LE CAPITAINE VACHARD, son gendre.
BALANDARD, son invité.
DEUX INVITÉS.
UN VALSEUR.
UNE VALSEUSE.

La scène se passe à La Châtre.


     Une chambre à boiseries blanc et or et à tentures de soie broché bleue. Au fond, lit style Louis XV, blanc et or à baldaquin, garni de rideaux de soie bleue brochée de fleurs. Fenêtres à droite et à gauche dans le pan coupé, avec rideaux de soie pareils à ceux du lit. Table de nuit et fauteuil style Louis XV comme le lit. À gauche, une porte avec portière de soie donnant dans un cabinet de toilette. Une cheminée avec deux flambeaux allumés. À droite, une porte avec portière donnant sur un corridor, un chiffonnier style Louis XV. Il fait nuit.

     On entend les sons d'un orchestre qui joue un quadrille.


SCÈNE PREMIÈRE.


ROSALIE. - Ah ! je n'en puis plus, les jambes m'en rentrent dans le corps d'être comme ça sur pied depuis les six heures du matin. (Elle se laisse tomber sur un fauteuil.) Habiller madame, habiller mam'zelle en mariée, lui mettre son voile ! l'ôter, lui remettre ! lui rôter ! La mairie, l'église, le déjeuner, la promenade, le dîner, et puis le bal pour m'achever ! Si je dansais encore ? mais une femme de chambre, ça regarde, voilà tout ! (On entend sonner minuit.) Minuit ! et pas moyen d'aller se coucher... Faudra passer la nuit blanche, et puis ils souperont sur les quatre heures du matin. On redansera bien sûr après jusqu'à véritable éternuome. Ah ! que j'ai envie de dormir ! (Elle s'assoupit.)



SCÈNE II

NANNETTE, avec un sac de voyage. un paletot et un chapeau ;
MADEMOISELLE ROSALIE.


ROSALIE, s'éveillant en sursaut. -Voilà, madame ! Tiens ! c'est vous, Nannette ? C'est bête de réveiller comme ça le monde en peur. Pourquoi que vous n'êtes pas à votre cuisine ?

NANNETTE. - Comment, vous dormiez ? Et dans la chambre de madame de Bonbricouland encore ! vous ne vous gênez guère.

ROSALIE. - C'est vrai, je m'étais oubliée un instant, là sur ce fauteuil... c'est si moelleux.

NANNETTE. - Dites donc, c'est-y vous qu'êtes chargée de loger ce monsieur ?

ROSALIE. - Quel monsieur ?

NANNETTE. - Ce monsieur qu'est enrhumé du cerveau, qu'est venu avec madame Corisande, la sœur à madame.

ROSALIE. - Ah ! Monsieur Balandard ! c'est bien vrai, je l'avais oublié, ce monsieur.

NANNETTE. - C'est que voilà ses affaires qu'étaient restées dans ma cuisine.

ROSALIE. - Posez-les là, je vas les porter dans sa chambre.

NANNETTE. - Les v'là... Je m'en vas ! (Elle sort.)



SCÈNE III


ROSALIE, puis MADAME DE BONBRICOULAND


ROSALIE. - Pourquoi donc que madame Corisande a amené ce monsieur ?... ce serait-y pas le remplaçant de défunt son mari ?... c'est qu'ils ont l'air de se connaître joliment... Dansent-ils là dans le salon ! En voilà une noce gaie... Et du monde ! tout ce qu'il y a de plus comme il faut dans le pays... Monsieur le sous-préfet... le maire... le commandant... (Elle s'endort.)

MADAME DE BONDRICOULAND. - Eh bien ? Qu'est-ce que vous faites là, péronnelle ?

ROSALIE, s'éveillant. - Madame... je... c'est que... je... m'en vas. (Elle sort.)


SCÈNE IV


CORISANDE, HYBLÉA, MADAME DE BONBRICOULAND.


HYBLÉA. - Ah ! ce Monsieur Balandard, il est amusant, il est aimable et il danse !... il valse surtout dans la perfection.

MADAME DE BONDRICOULAND. - C'est bon, c'est bon ! tu n'as pas besoin de te monter la tête pour lui, ma fille. Te voilà mariée, et les beaux danseurs, ça ne te regarde plus.

CORISANDE. - Celui-là n'est pas beau ; mais il a de l'esprit, il est gai, bon garçon. Il plaît à tout le monde.

MADAME DE BONDRICOULAND. - Je ne dis pas. Il me plaît aussi à moi ; mais enfin c'est un homme de rien.

HYBLÉA. - Ah ! maman, si je n'ai plus le droit de regarder ceux qui dansent bien, tu n'as pas celui de dédaigner les gens de rien, car te voilà belle-mère d'un vilain, et par conséquent mère d'une vilaine.

MADAME DE BONDRICOULAND. - Tu es jolie et ton mari est laid ; mais tu l'as voulu comme ça et j'ai dû céder.

HYBLÉA. - Il n'est ni joli, ni jeune, j'en conviens ; mais il est riche.

CORISANDE. - Et la petite est positive.

HYBLÉA. - Je suis de mon siècle.

CORISANDE. - Il n'est pas riant, ton siècle.

HYBLÉA. - Dirait-on pas que tu as quatre-vingts ans !

CORISANDE. - Oh ! moi, je ris de tout pour ne pleurer de rien.

HYBLÉA. - Il t'est facile d'être gaie, petite tante, tu es riche.

CORISANDE. - Ce n'est pas le mariage qui m'a enrichie, au contraire.

HYBLÉA. - Enfin, ton oncle l'a laissé trente-mille livres de rente, et nous nous sommes pauvres. Mon grand-père ne nous laissera rien, non plus qu'à toi.

MADAME DE B0NBRICOULAND. - Il est certain qu'il nous abandonne absolument. Ne pas être venu au mariage de sa petite-fille !...

CORISANDE. - Il fait pour elle ce qu'il a fait pour moi.

HYBLÉA. - C'est-à-dire, rien. J'ai donc eu raison d'épouser un homme riche... justement le voilà, mon mari. (Bas, à Corisande.) Le fait est qu'il a une drôle de touche.

MADAME DE BONBRICOULAND, qui l'a entendue. - Fi ! ma fille, quels mots vous employez ! Vous parlez argot à présent ?

HYBLÉA. - C'est la mode, maman. D'ailleurs, mon mari parle bien plus mal encore. (Elle rit aux éclats.)


SCÈNE V


LES MÊMES, LE CAPITAINE VACHARD.


VACHARD. - Enchanté de vous trouver si... si... joyeuse... si... hilare, voilà le mot, hilare. (Hybléa rit plus fort.)

MADAME DE BONDRICOULAND. - Ma fille !

HYBLÉA. - Maman, c'est plus fort que moi, il faut que je rie.

VACHARD. - Il n'y a pas de mal. Elle est gaie... ça prouve qu'elle n'est pas triste.

HYBLÉA. - Évidemment. (Corisande rit aussi.)

VACHARD. - Et notre belle tante aussi ? Un militaire n'est pas ennemi d'une douce hilarité. C'est le mot, hilarité.

CORISANDE. - Il y tient.

VACHARD. - Peut-on savoir au moins... j'aimerais à me mêler à vos ris.

HYBLÉA. - Nous parlions de mon grand-père.

VACHARD. - Un homme charmant. le comte des Andouillers, charmant ; un homme qui n'a qu'un défaut : trop bon, comme feu mon colonel. Lorsque j'étais au septième hussards, je n'étais que lieutenant alors... un jour...

HYBLÉA. - Vous nous raconterez ça plus tard. C'est le moment des contredanses et non des narrations.

VACHARD. - C'est juste, c'est juste ! Allons danser. Le troupier ne hait pas un peu de sauterie. Quant à moi, je pourrais dire pourtant : La danse ce n'est pas ce que j'aime ; mais c'est la fille à Nicolas.

MADAME DE BONBRICOULAND. - Nicolas ? jamais mon mari ne s'est appelé comme ça. Il s'appelait Gontran. (Avec hauteur.) Gontran de Bonbricouland, monsieur Vachard.

VACHARD. - Eh bien, moi, je m'appelle Anatole.

HYBLÉA. - Nous le savons bien et... dites donc, est-ce que je vais être forcée de vous appeler Anatole ?

VACHARD. - C'est comme il vous plaira. Appelez-moi capitaine, si vous voulez.


HYBLÉA. - J'aime mieux ça, allons danser. J'ai promis à Monsieur Balandard.

VACHARD. - Ah çà ! qui diable est-ce ce Monsieur Balandard dont toutes les femmes d'ici sont raffolles ?

CORISANDE. - Qu'est-ce que vous dites ?

VACHARD. - Je dis raffoles. Moi, je n'en suis pas raffou de ce particulier-là. 

HYBLÉA. - Pourquoi ?

VACHARD. - Je ne sais pas. Il me fait l'effet d'un pistolet ?

CORISANDE. - Qu'est-ce que vous entendez par pistolet ?

VACHARD. - Un... comment dirai-je ? un original, un blagueur ! (Il remonte vers la porte.)

MADAME DE BONBRICOULAND, bas à Corisande. - Quel ton il a !

CORISANDE, le retenant. - Dites-moi donc, capitaine.

VACHARD. - Oh ! vous, ma belle tante, j'espère que vous m'appellerez mon neveu.

CORISANDE. - Non, je suis plus jeune que vous.

VACHARD. - Plus jeune, plus jeune...

CORISANDE. - Ah ! mais oui, beaucoup plus jeune.

VACHARD. - L'âge n'y fait rien. La preuve, c'est que vous êtes encore charmante. (À part.) Le fait est qu'elle est très bien ; j'aime les femmes grasses, moi ! ma femme est un peu maigre.

CORISANDE. - Je voulais vous dire... j'ai une question à vous faire : vous avez été aux Andouillers dernièrement... Hybléa, laisse-nous, c'est une affaire de famille.

HYBLÉA. - Vous allez parler des fredaines de mon grand-père ? je m'en vais. C'est quelquefois amusant, mais j'aime mieux danser. (Elle sort.)

VACHARD. - À vos ordres, belle tante.

CORISANDE. - Je n'ai pas pu vous parler depuis ce matin. Je croyais que mon père viendrait. Il ne viendra pas. Je voudrais un peu savoir ce qui se passe chez lui maintenant. Je sais que vous avez été lui demander son agrément pour épouser sa petite-fille et que vous avez été très bien reçu. Vous y avez passé deux jours, parlez-moi des personnes qui étaient chez lui.

VACHARD. - Ma foi ! il y avait son curé... son maire...

CORISANDE. - Je ne vous demande rien des hommes.

VACHARD. - Oui, je comprends, il s'agit du sexe faible et charmant.

CORISANDE. - Ce sexe charmant, de quoi se composait-il ?

VACHARD. - Ah ! moi, je vous avoue que j'ai d'abord contemplé la cuisinière, une femme superbe comme vous... un cordon bleu.

CORISANDE. - Oui, oui, c'est Française, je la connais ; mais, après !...

VACHARD. - Il y avait... oh ! oh ! deux biches chouette !

MADAME DE BONDRICOULAND. - Comment, des biches et des chouettes au salon ?

VACHARD, souriant de pitié. - Vous ne comprenez pas ! je veux parler de deux femmes chic, avec des habits rouges, des casquettes et des cheveux dans le dos attachés en queue comme des postillons.

MADAME DE BONDRICOULAND. - En queue ? c'est horrible.

VACHARD. - Mais non, des cheveux superbes comme des crinières de dragons. Du blanc, du rouge, du noir autour des yeux, ça fait bien.

CORISANDE. - Comment s'appelaient-elles ?

VACHARD. - Il y en avait une grande qui s'appelait Estelle, Adèle... Céleste, je crois. Oui, Céleste, c'est ça.

CORISANDE. - Et l'autre ?

VACHARD. - L'autre, un nom en a, Ophélia, Alida, Coriza, je ne sais pas. Le nom ne fait rien à l'affaire. Elle avait du chien, la petite !

CORISANDE. - Et dites-moi quel train elles mènent dans la maison ?

VACHARD. - Ah ! un train de hussards à quatre roues... un train de sous-lieutenants. La chasse, la table, la danse, la toilette. Je me suis bien amusé.

MADAME DE BONDRICOULAND. - Et nous, ça ne nous amuse pas.

VACHARD. - Ah ! qu'est-ce que vous voulez ? Il est charmant, le vieux ! Pas beaucoup de mémoire, mais jeune comme à vingt ans.

MADAME DE BONDRICOULAND. - Trop jeune.

VACHARD. - Bah ! il mange son bien. Mais, qu'est-ce que ça vous fait ? Je suis riche, moi ! El vous ne manquerez de rien. Allons ! pas d'idées tristes ; ma belle-tante, je vous retiens pour un tour de valse. (Ils sortent.)



SCÈNE VI


NANNETTE, LE COMTE DES ANDOUILLERS

et son chien, LES PRÉCÉDENTS.


NANNETTE. - Madame, voilà monsieur le comte des Andouillers.

HYBLÉA. - Ah ! mon oncle !

CORISANDE. - Mon père ? quel miracle !

MADAME DE BONDRICOULAND. - Mon frère ? c'est bien heureux !
(Ils s'embrassent les uns après les autres.)

LE COMTE. Bonjour, chère sœur ! bonjour, Hybléa ! bonjour ma fille. Ma foi, j'arrive peut-être un peu en retard ! j'ai amené ma meute favorite... Tayau ! tayau ! (Le chien jappe.) C'est Mirault, mon bon Mirault !

MADAME DE BONDRICOULAND. - Mais vous n'allez pas faire entrer dans ma chambre toute votre meute, ça sent bien mauvais .




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