THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE GENDARME. - Tu me feras plaisir !


GUIGNOL. - Vous êtes bien bon. Alors approchez-vous pour me donner la main.

LE GENDARME, s’approchant. - Voilà !


GUIGNOL. - Plus près.


LE GENDARME, même jeu. - Voilà !


GUIGNOL. - Bien. — Maintenant dressez-vous un peu — baissez la tête, tendez votre dos... — Vous me ferez la courte échelle.

LE GENDARME. - 'Faitement. — Quand je vous le disais : les prisonniers, ce sont des anges. — Ils viennent se faire arrêter tout seuls.


GUIGNOL. - Y êtes-vous ?


LE GENDARME. - Oui.


GUIGNOL. - Et surtout ne bougez pas.


LE GENDARME - Je ne bouge pas.


GUIGNOL, descend doucement, puis vient derrière lui et lui donne un grand coup de bâton- Une — deux.

(Il s'enfuit.)


LE GENDARME. - Oh ! ça n'est pas de jeu, et si je t'attrape....


GUIGNOL, reparaissant au haut de l'arbre. - Coucou ! Ah ! le voilà !


LE GENDARME. - Descends, ou tu vas voir !


GUIGNOL. - Kss... Kss...


LE GENDARME. - Ah ! si je n'avais pas mes bottes !



GUIGNOL. - Oui, mais tu as tes bottes.
(Chantant.)
Et il a des bottes,
Il a des Lottes, Bastien.


LE GENDARME. - La moutarde me monte au nez.


GUIGNOL. - Prenez garde, vous allez éternuer.


LE GENDARME. - Et il rit encore le sans cœur !


GUIGNOL. - Je te crois.


LE GENDARME, à part. - Je vais me cacher. Il ne me verra pas ; il se croira seul et il descendra.


(Il se cache au bas de l'arbre.)


GUIGNOL, regardant sans le voir. - Personne ! Serait-il parti.... et en laissant la porte du cabaret ouverte ? Voyons un peu.


(Il descend.


Il passe la tête par la coulisse de gauche, — le gendarme avance la sienne, — il lui donne un coup de bâton. Le même jeu recommence plusieurs fois. — Lazzis.


Poursuite de Guignol par le gendarme. Il veut le conduire en prison. Il finit par le rattraper, mais au moment de le faire entrer, Guignol s'échappe encore. — La même scène recommence. — Ils se débattent — et finalement c'est Guignol gui enferme le gendarme dans la prison, qui est à droite — du côté du cabaret de la mère Michel.)



GUIGNOL, éclatant de rire. - Ah ! Ah ! Ah !


LE GENDARME, l'appelant. ...Mon petit Guignol, ouvre-moi, je t'en prie.


GUIGNOL, chantant. - Sur l'air du tra la la la la.


Bonsoir. — Amusez-vous bien.— Et maintenant allons vitement boire un verre. (Il va pour entrer au cabaret, regardant.) Ah ! mais non ! — Prenons bien garde. Voici le juge et la mère Michel. Ne nous laissons pas surprendre.


(Il se cache encore à gauche.)



SCÈNE VII


LE JUGE, LA CABARETIÈRE, GUIGNOL, caché.



LE JUGE arrive, portant une potence sur le dos. - Soyez tranquille, mère Michel. Dans un petit quart d'heure tout va être terminé : je place la potence, je lui lis quelques mots latins ; le gendarme lui passe la corde au cou.


LA CABARETIÈRE. - À la potence ?


LE JUGE. - Non, à Guignol. Puis une fois bien placée, bien clouée, bien arrangée...

 

LA CABARETIÈRE. - Qui ? Guignol ?


LE JUGE. - Non — la potence. — Vous ne comprenez donc rien ? — (Il lui envoie un coup sur la tête avec ta potence.) Ça n'entre donc pas ?


GUIGNOL, vient derrière et à son tour envoie un coup de bâton sur la tête du juge. - Entrez !


LE JUGE. - Je me suis cogné contre l’arbre.


LA CABARETIÈRE, se frottant la tête- Je comprends, très bien, très bien, monsieur le juge. Vous avez des arguments qui frappent fort.


LE JUGE. - Ce sont les meilleurs. (À part même jeu.) Sapristi, que je me suis donc cogné fort moi aussi.— (Haut.) Voyons, ce n'est pas le tout. Voici la potence : je la plante. (Il la plante.) Voici la corde. — Maintenant amenez-moi mon gendarme et votre voleur. — Moi, je vais ouvrir mon code pour le condamner avec tout le cérémonial obligatoire en pareil cas. Sans le code, voyez-vous, pas de jugement. C'est comme nous : sans robe et sans bonnet carré, pas de juge. — Eh bien ! vous restez là à me regarder — Cherchez-moi donc tout mon monde. M'auriez-vous dérangé pour rien, nom d'un pantin !


GUIGNOL, caché. - Crétin !


LE JUGE, étonné. - Il y a de l'écho, ici. Répondez, cabaretière... Mais doucement.

LA CABARETIÈRE. - J'ai laissé, ici, le gendarme à la recherche de Guignol.


LE JUGE. - Il cherchait Guignol. Oh ! alors, soyez tranquille, il ne reviendra que lorsqu'il l'aura trouvé. Nous ne sommes pas pressés. Et puis nous sommes sûrs de notre affaire. Mon gendarme est un dur à cuire duribus cuiribus, — comme dit le code — jamais un prisonnier ne s'échappe de ses mains. Prisonnierus, prisonnierum, comme dit le même code. Saluez.


LA CABARETIÈRE. - Que c'est beau les savants ! C'est égal, il me tarde bien de le voir arrêté, ce bandit. (Elle s'approche.) Ainsi, je vais le voir se balancer au bout de cette corde. Ça doit gêner sur le moment l


GUIGNOL, doucement, il s'approche sans qu'on le voie. - (À part.) Tu vas voir si cela va me gêner.


LE JUGE. - Vous n'avez jamais vu pendre ?


LA CABARETIÈRE. - Jamais.


LE JUGE. - Tenez, on passe la corde au cou comme ceci. (Il fait en même temps les gestes.) Oh ! il n'y a pas de danger — voyez, le nœud est coulant, j'y passe ma tête, passez-y la vôtre. Puis on tire... et...


GUIGNOL s'est approché, il tire la corde, et le juge et la cabaretière se trouvent pendus. - À deux sous, les polichinelles !


LE JUGE, LA CABARETIÈRE. - Au secours ! Au secours !


GUIGNOL. -Tu peux crier, on ne viendra pas.


LE JUGE. - Gendarme ! gendarme !

 


SCENE VIII. 
 


LES MÊMES, puis LE GENDARME, paraissant à la fenêtre de la prison.


LE GENDARME. - Qui m’appelle ? Ciel ! le juge et la mère Michel pendus ! Qu'est-ce que vous faites-là ?


GUIGNOL. - Ils prennent le frais.


LE JUGE. - Viens nous détacher !


LE GENDARME. - Je ne peux pas, je suis enfermé.


GUIGNOL. - Faut-il tirer le cordon ?


LA CABARETIERE. - Bandit l


GUIGNOL. - Ah ! pas de gros mots ! Soyons polis, ou je cogne. Qu'est-ce que je vous dois ?


LA CABARETIÈRE. - Huit euros cinquante centimes.


GUIGNOL. - En êtes-vous sûre ? (Avec son bâton il frappe sur la cabaretière et sur le juge.)


LA CABARETIERE. - Non ! non ! non ! Tu ne me dois rien, plus rien, je te fais crédit. Mais lâche la corde.


GUIGNOL. - Et vous, monsieur le juge, mon bon juge ?


LE JUGE. - Moi, je te ferai pendre. Pendre !


LA CABARETIÈRE, au juge.- Eh ! laissez là votre Chinois, puisque je ne peux plus me faire payer.


GUIGNOL. - Tu me feras pendre, mon bon juge ?


LE JUGE. - Haut et court.


GUIGNOL. - Hautu, courtus. Hautum, courtum. (À chacun des mots il cogne du bâton.)


LE JUGE. - Non ! non, grâce ! il ne te sera rien fait..


GUIGNOL. - Vous le jurez ?


LE JUGE. - Je le jure.


GUIGNOL. - En latin.


LE JUGE. - Juro.


GUIGNOL, lâchant ta corde. - Bravo ! Et maintenant je vais ouvrir au gendarme.


LE GENDARME, de la fenêtre. - Encore plus bravo !


GUIGNOL, va lui ouvrir, il entre en scène. Le juge et la cabaretière se détachent de la potence. - Et maintenant, pour prix de notre peine, la mère Michel va nous servir un joli dîner. Le juge le paiera. Le gendarme coupera le bois et soufflera le feu. La mère Michel mettra le couvert.


LE GENDARME. - Et toi ?


GUIGNOL. - Moi je mangerai ! (Au public.) Ainsi finit la comédie !


 

Rideau. 
 




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