THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

 

GUIGNOL ET LA CABARETIÈRE

d'après

Fernand Beissier

1894

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57435258/f101.image

 

PERSONNAGES :
GUIGNOL. — LE GENDARME. — LA CABARETIÈRE.
LE JUGE.

La grande place du village. — À droite, le cabaret, la prison
au fond. — À gauche, des arbres.

THÉÂTRE DE GUIGNOL.

SCÈNE PREMIÈRE.

GUIGNOL, LA CABARETIÈRE



GUIGNOL, entre. - J'ai soif... Il fait une chaleur terrible aujourd'hui ! (Il va à ta porte du cabaret et frappe.) Oh ! là.


LA CABARETIÈRE. - Tiens, c'est vous, monsieur Guignol ?


GUIGNOL. - Eh ! oui,... c'est moi, mère Michel. Ça va bien ce matin ?


LA CABARETIÈRE. - Mais pas mal... je vous remercie.


GUIGNOL. - Allons ! tant mieux, tant mieux. Dites donc... Vous allez me servir quelque chose.


LA CABARETIÈRE, saluant. - Vous servir à boire ?


GUIGNOL. - À boire, comme vous le dites si élégamment.


LA CABARETIÈRE, même jeu. - Votre servante, monsieur Guignol.


GUIGNOL. - Vous refusez ?


LA CABARETIÈRE. - Absolument.


GUIGNOL. - Ça n'est pas possible.


LA CABARETIÈRE. - Ça n'est pas possible, mais ça est.


GUIGNOL. - Et pour quelles raisons, s'il vous plaît ?


LA CABARETIÈRE. - Oh !... une seule... et suffisante... Payez-moi d'abord ce que vous me devez... et puis après nous verrons.


GUIGNOL. - Je vous dois quelque chose ?


LA CABARETIÈRE. - Vous l'avez oublié ?


GUIGNOL. - Non. Alors vous voulez que je vous paie ?


LA CABARETIÈRE. - Payez... et je vous servirai.


GUIGNOL, lui donnant un coup de bâton. - Voilà !


LA CABARETIÈRE. - Au secours !


GUIGNOL, frappant en comptant ses coups. - Un euro, deux euros, trois euros, quatre euros, cinq, six, sept, huit... Ça fait-il votre compte ?


LA CABARETIÈRE. - Et cinquante centimes.


GUIGNOL, saluant. - Voilà... Et maintenant vous êtes payée.


LA CABARETIÈRE. - Ah ! gueux ! bandit !... je vais aller chercher la police.


GUIGNOL. - Allez chercher qui vous voudrez.


(La cabaretière sort furieuse.)



SCÈNE II



GUIGNOL, seul, la regardant s'en aller. - Et elle court... et elle court. Va donc ! mais va donc ! (Se retournant.) Si du moins elle avait laissé la porte de son cabaret ouverte, j'en aurais profité... Fermée !... Oh ! la vieille méfiante ! C'est vrai que j’ai cogné un peu... Mais enfin c'est sa faute. Est-ce qu'on réclame une dette ? — Ça ne se fait pas entre gens du monde. Quand votre créancier l'oublie, il ne faut pas l'en faire souvenir. Surtout quand il ne la nie pas. (Regardant.) Ah ! mon Dieu ! le gendarme avec la mère Michel. Où me cacher ?... Ah ! dans les branches de cet arbre.


(Il disparaît, à gauche, derrière un arbre.)



SCÈNE III.


LE GENDARME, LA CABARETIÈRE.



LA CABARETIÈRE. - Oui, mon bon gendarme, il m'a frappée ; il m'a tuée ; je suis morte. Aussi je veux qu'on l'arrête, qu'on le charge de chaînes, qu'on le conduise en prison. Puis on le pendra à une bonne potence, bien solide.

LE GENDARME. - Ça ne va pas être long, vous allez voir. Où est-il ? montrez-le moi ! Je l'arrête, je le conduis chez le commissaire, on le juge, on le condamne, et on le pend subito.


GUIGNOL, passant sa tête et disparaissant. - Imbécile !


(Le gendarme et la cabaretière se retournent étonnés.)


LE GENDARME, à la cabaretière. - Pourquoi m'appelez-vous imbécile ?

LA CABARETIÈRE. - Moi. Oh ! Seigneur Dieu ! si c'est possible !


LE GENDARME. - J'ai bien entendu. — Et faudrait pas recommencer ; sans ça je vous arrête aussi. — J'arrête tout le monde. — Un gendarme, vous savez, c'est sacré. — Il peut faire des bêtises — mais ce n'est jamais un imbécile.


LA CABARETIÈRE. - Mais...


LE GENDARME. - Suffit !


LA CABARETIÈRE. - Je n'ai...


LE GENDARME, imitant le roulement du tambour. - Rrrr !


LA CABARETIÈRE. - Laissez-moi au moins....


GUIGNOL, même jeu que plus haut. - Vieille marmite !


LA CABARETIÈRE. - Oh !


LE GENDARME. - Quoi ?


LA CABARETIÈRE. - Vieille marmite ! C'est dur.


LE GENDARME, tirant son sabre. - Vieille marmite ! Qui ça, vieille marmite ? — Où ça ? Est-ce encore quelqu'un qu'il faut arrêter ?


LA CABARETIÈRE. - Non. Et d'ailleurs je ne vous en veux pas.


LE GENDARME. - De quoi ?


LA CABARETIÈRE - Rien. Parlons plutôt de mon voleur.


LE GENDARME, à part. - Elle est folle, la vieille.


LA CABARETIÈRE, à part. - Si je n'avais pas besoin de lui, je lui aurais déjà rompu mon balai sur le dos. (Haut.) Et quand allez-vous l'arrêter ce scélérat ?


LE GENDARME. - Mais tout de suite. Où est-il ?


LA CABARETIÈRE. - Il était là, il n'y a qu'un instant.


LE GENDARME. - Je vais me mettre à sa recherche — Vous, pendant ce temps, allez vous en chez le juge ; vous l'amènerez ici. Guignol sera enchaîné, ligoté, ficelé comme un simple saucisson.


LA CABARETIÈRE, saluant. - J'y cours, monsieur le gendarme, mon cher monsieur gendarme.


LE GENDARME, solennel. - C'est bien. Ah ! un mot, madame Michel. Laissez-moi donc la clef de votre maison.


LA CABARETIÈRE. - La clef !


LE GENDARME. - Laissez-en la porte ouverte, si vous préférez, pour que je puisse de temps en temps aller me recueillir près d'un bon verre de vin.


LA CABARETIÈRE, à part, allant ouvrir la porte. - Oh ! si je ne tenais pas tant à ce que tu attrapes le scélérat qui m'a rouée de coups, tu verrais comment je te l'ouvrirais, ma porte. Je le connais ton recueillement. Il va me coûter quelques bouteilles. (Haut) V'là ! c'est fait.


LE GENDARME. - 'Faitement. — Et maintenant à droite, en avant, arrrche ! Accélérez le mouvement et pressez-vous.

 

LA CABARETIÈRE. - Voilà ! voilà !

LE GENDARME. - Et revenez vite !

LA CABARETlÈRE. - Le plus vite possible ! (À part.) Moins je reste, moins il boira. (Haut.) Voilà ! voilà !


(Elle sort par la droite.)

SCÈNE IV.


LE GENDARME, seul. - Et maintenant je vais tranquillement attendre que mon prisonnier arrive. C'est le seul moyen de faire de bonnes et solides arrestations. Pourquoi m'en irais-je courir, me fatiguer, sans savoir où prendre, ni où trouver mon homme ? J'aimerais mieux qu'il vienne de lui-même me tendre ses mains pour les lui enchaîner. — En attendant je vais chercher par là-bas une bonne bouteille de vin — derrière les fagots : je connais le coin. Ça m'inspirera !... (Il entre, chantant.)

Bouteille jolie,
Chante-nous
Tes jolis glouglous,

Ma mie.


SCÈNE V.



GUIGNOL, paraissant doucement. - Il y va — il va boire — le sans-cœur. — Et il ne m’invite pas — un gendarme et un prisonnier conciliant, ça doit aller ensemble — J'irais bien l'inviter moi-même, mais la potence — Brr ! — Boire — je veux bien — mais être pendu — pas si bête. Si pourtant je pouvais ! Il vient. — Cachons-nous encore.



SCÈNE VI.


LE GENDARME, puis GUIGNOL.



LE GENDARME. - Ah ! ça va bien, ça va mieux, ça va même très bien. — Je me sens tout ragaillardi — Maintenant Guignol n'a qu'à paraître, et vous allez voir.

GUIGNOL, passe sa tête entre les branches. - Bonjour, gendarme.



LE GENDARME. - Tiens ! Guignol ! Tu étais là !

 

GUIGNOL. - Mais oui — je vous admire depuis quelques instants.
 

LE GENDARME - Tu sais pourquoi je suis ici ?
 

GUIGNOL, à l'instant. - Pour m'arrêter.

 

LE GENDARME. - 'Faitement. — Aussi tu n'as qu'à descendre, — je vais te ficeler. — Une — deux. — Ce ne sera pas long.
 

GUIGNOL. - Une — deux. — Il faudra voir !
 

LE GENDARME. - Allons ! descends !
 

GUIGNOL. - S'il vous plaît ?


LE GENDARME. - Ne te fais pas prier — j'ai là une bonne petite corde. — le juge va venir, — et tu étrenneras une bonne petite potence toute neuve.

 

GUIGNOL. - Voyez-vous ça.
 




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