THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LA BELLE AU BOIS DORMANT

Féerie en quatre actes.

Par Mesdemoiselles B. et J. AUROY

1930

domaine public
 

PERSONNAGES :
LA BELLE AU BOIS DORMANT

LE PRINCE CHARMANT
LE ROI
LA REINE
LA VIEILLE FILEUSE
LA FÉE CARABOSSE
LA FÉE DES FLEURS
CINQ FÉES
UN MÉDECIN
DAMES D'HONNEUR


PREMIER TABLEAU

LE BAPTÊME DE LA PRINCESSE


      La Princesse est couchée dans son berceau. La Reine la contemple avec amour. Au piano, jouer un gai carillon de baptême.

LA REINE. - Que je suis heureuse de contempler ma fille ! Tout à l'heure, à la fin du dîner de baptême, les six bonnes fées, ses marraines, vont venir lui faire leurs dons. Ainsi, notre enfant aura toutes les perfections.

LE ROI, introduisant la première fée. - Faites-nous la grâce, chère Fée des Fleurs, de vous approcher du berceau. Notre chère enfant dort tranquillement.

LA FÉE DES FLEURS, touchant l'enfant de sa baguette. - Ma filleule, grâce à ma baguette, vous serez belle et fraîche comme les roses en mai. (Elle se retire).

LA REINE. - Ah ! Voici la fée Aurore !

LA DEUXIÈME FÉE, s'avançant près du berceau. - Ma chère filleule, par la vertu de ma baguette, vous aurez de l'esprit comme un ange. (Elle se retire).

LA REINE. - Daignez approcher, chère fée Sourire.


LA TROISIÈME FÉE. - La Princesse apportera à tout ce qu'elle fera une grâce charmante. (Mêmes jeux de scène).

LA QUATRIÈME FÉE. - Je dis que la Princesse dansera aussi légèrement que les elfes et les lutins des prairies.

LA CINQUIÈME FÉE. - Elle chantera comme le rossignol au printemps.

LA SIXIÈME FÉE. - Et elle jouera dans la perfection de tous les instruments de musique.

LA FÉE CARABOSSE, entrant brusquement. - (Elle montre le poing en ricanant méchamment). Ah ! Ah ! Ah ! J'apprends que les fées ont été conviées au baptême de la princesse. On n'a pas pensé à inviter la fée Carabosse. Elle est sans doute trop vieille et trop laide pour être de la fête ! Ah ! Ah ! Vous vous en repentirez. La baguette de la fée Carabosse saura bien la venger ! 
     (Pendant le dialogue qui suit, la Fée des Fleurs entre et va se cacher derrière le berceau).


LA REINE. - Grâce ! Grâce !... nous ne savions pas !...

LE ROI. - Pardonnez-nous, bonne fée, nous sommes au désespoir...

LA FÉE CARABOSSE. - Pas de pardon ! Les fées sont venues à votre appel donner à la princesse la beauté et l'esprit. Elle aura certainement toutes les perfections... (Elle rit). Mais... à seize ans, elle se percera la main avec un fuseau et elle mourra ! (Elle sort en ricanant).

LA REINE, essayant de l'arrêter. - Pitié, pitié pour elle ! Pitié pour nous ! (Elle revient près du berceau en sanglotant).

LA FÉE DES FLEURS, sortant de derrière un rideau où elle était cachée. - Ne pleurez pas tant, Roi et Reine. Je voudrais avoir assez de puissance pour défaire entièrement ce que mon ancienne a fait ; mais, du moins, en parlant la dernière, je peux réparer un peu le mal. Écoutez, et rassurez-vous. Votre fille se percera la main d'un fuseau, mais, au lieu d'en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d'un roi viendra la réveiller.

LE ROI ET LA REINE, en pleurant. - Que vous êtes bonne, chère fée des Fleurs !

LA FÉE DES FLEURS. - Dormez, petite princesse ; faites de beaux rêves. Vous aurez un jour en partage le vrai bonheur !


DEUXIÈME TABLEAU

LA CHAMBRE DE LA VIEILLE FILEUSE

Chambre très rustique. La vieille paysanne file et chante.


LA FILEUSE. (Chanson populaire)

Derrière chez mon père,
Un oiseau il y a
Un oiseau
À la volette
Un oiseau il y a.

Il dit tous les jours
Qu'il s'envolera
Qu'il s'envole
À la volette
Qu'il s'envolera.

Il s'est envolé
Sur un chêne au bois
Sur un chêne
À la volette
Sur un chêne au bois.     (Les autres couplets à volonté).

LA PRINCESSE, frappant légèrement à la forte, l'entrouvrant et passant sa tête. - Coucou ! Bonjour Madame !

LA FILEUSE. - Entrez, entrez ma belle.

LA PRINCESSE. - J'ai entendu de loin votre chanson et je suis venue jusqu'ici... Alors, vous habitez la tour, et c'est votre chambre ?

LA FILEUSE. - Oui, mon enfant.

LA PRINCESSE, regardant partout, étonnée et amusée. - J'aime ce vieux fauteuil, il est joli ! Oh ! Ce bahut ! Qu'il est amusant ! (Elle s'assied sur un petit tabouret auprès de la fileuse). Vous chantiez tout à l'heure une chanson que je ne connais pas. Voudriez-vous me la chanter ? J'adore les chansons.

LA FILEUSE. - Volontiers, mon enfant. (Elle chante la même chanson).

LA PRINCESSE. - Cette chanson est bien jolie. Vous me l'apprendrez, n'est-ce pas ? Je reviendrai vous voir souvent, car nous allons rester tout l'été dans ce château.

LA FILEUSE. - J'aurai plaisir à vous voir, ma fille, car j'aime la jeunesse... et vous me paraissez aimable.

LA PRINCESSE. - Mais que faisiez-vous donc quand je suis entrée ?

LA FILEUSE. - Je filais, ma belle enfant.

LA PRINCESSE. - Vous filiez ? Voilà quelque chose que je ne connais pas.

LA FILEUSE. - Vraiment ? De mon temps, toutes les fillettes savaient filer.

LA PRINCESSE. - Voulez-vous me montrer, Madame ?

LA FILEUSE. - Avec plaisir, mon enfant. Regardez : je serre ma quenouille sous mon bras, je tords le fil qui s'enroule autour du fuseau qui tourne vite, vite... (Elle file).

LA PRINCESSE. - Oh ! Que c'est joli !

LA FILEUSE. - Ne voudriez-vous point essayer ?

LA PRINCESSE. - Oh si ! Donnez-les moi que je voie si j'en ferais autant. (Elle s'avance pour prendre la quenouille ; aussitôt, elle se renverse, évanouie).

LA FILEUSE, se précipitant. - Qu'avez-vous, ma chère enfant ? Vous vous êtes piqué la main avec le fuseau ? Ce n'est rien... Revenez à vous... Ouvrez les yeux... Mais elle est évanouie. (Elle appelle). Au secours ! Au secours !

     (Une vieille paysanne accourt).

LA VIEILLE FEMME. - Elle est sans connaissance ! Vite, de l'eau. (Elle lui asperge le visage). Frappez-lui dans les mains pendant que je délace son corsage... Ciel ! Voici le Roi !...

LE ROI. - Retirez-vous, mes bonnes femmes. La princesse ne s'éveillera pas. Transportez-la dans sa chambre. Son sommeil va durer cent ans. Ainsi l'on prédit les fées !


TROISIÈME TABLEAU

LE SOMMEIL DE LA BELLE
 

     La chambre de la Princesse. La Belle est étendue sur un lit magnifiquement orné. La Reine, aidée d'une Dame d'Honneur, termine en pleurant l'arrangement du lit. Le Roi pleure silencieusement.

LA REINE. - Là... mettons encore ce voile rose sur notre pauvre enfant. Arrangeons ses boucles blondes... (Elle la contemple). Qu'elle est belle ainsi !

LA DAME D'HONNEUR. - Ses joues sont roses comme des fleurs... ses lèvres pareilles à du corail.

LE ROI. - Elle dort tranquillement. L'entendez-vous respirer doucement ?

LA REINE. - Ne dirait-on pas un ange ? Oh ! Ma fille, plus jamais je ne verrai ses beaux yeux... (Elle pleure plus fort).

LE ROI. - J'ai mandé un médecin célèbre. Qui sait s'il ne trouvera pas un remède pour la tirer de ce sommeil. (À la dame d'honneur). Madame, voulez-vous demander s'il est arrivé ?
     (La dame disparaît une minute).

LA DAME D'HONNEUR. - Sire, le voici. (Elle sort).

LE MÉDECIN, saluant profondément. - (Il examine la Princesse endormie). Hélas, Sire, la science est impuissante à faire cesser l'enchantement. Il n'est pas en mon pouvoir d'éveiller la Princesse. Je puis, du moins, vous assurer qu'elle se porte à merveille. (Il salue et sort).


LA DAME D'HONNEUR. - Sire, la fée des Fleurs vient d'arriver dans un char tiré par trois dragons.

LE ROI. - Je vais aller la recevoir. (Il sort).

LA FÉE DES FLEURS. - (Elle entre suivie du Roi et de la dame d'honneur. Elle s'approche du lit). Chère enfant, vous voilà donc endormie pour un siècle ! En vérité ma baguette lui a donné la beauté parfaite.

LA REINE. - Oh ! Chère Fée, je passerai le reste de mes jours à pleurer mon malheur.

LA FÉE DES FLEURS. - Non pas ! Vous allez dormir en même temps que votre fille. Je vais faire le tour du château et je toucherai de ma baguette les gardes, les valets, les cuisiniers, les servantes, les chevaux et les chats qui s'endormiront pour cent ans. Pensez donc, si la princesse, en s'éveillant, se trouvait seule dans ce vieux château, elle serait bien embarrassée !

LE ROI. - Quelle bonne idée ! Ainsi la vie sera simplement suspendue pendant cent ans. Et nous nous éveillerons en même temps que notre chère enfant !

LA REINE. - Et nous reverrons ses beaux yeux... et nous entendrons sa douce voix ! Ah ! Chère fée des Fleurs ! Laissez-moi l'embrasser encore une fois avant de m’endormir. (Elle embrasse la princesse).

     (Coups de baguette de la fée. Les personnages se groupent pour dormir. La fée sort doucement).

Musique très douce (Rêverie ou berceuse) ou couplets de Bouchor.

Chantons la Belle au bois dormant,
Dormant au bois si longuement,
Chantons la Belle au bois dormant,
Plus belle que les fleurs du mois charmant.

La blonde enfant repose
Dans un château très vieux,

Sa joue est blanche et rose,
Mais nul n'a vu ses yeux, etc...


QUATRIÈME TABLEAU

LE PRINCE CHARMANT


     Même décor. Au début, un léger rideau sépare la scène du spectateur. Le Prince apparaît devant le rideau. Aux dernières paroles du chant, le rideau s'ouvre lentement.

LE PRINCE. (Il chante. Air : Il était un roi d'Yvetot).

On dit que, dans ce vieux château
Tout rempli de richesses,
Dort, depuis cent années bientôt
La plus belle princesse.
Un prince bon, jeune et vaillant
Viendra briser l'enchantement
Vraiment.
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Je veux être ce prince-là
La la !

Sur mon chemin, j'ai vu partout
Des valets et des gardes,
Dormant assis, dormant debout
Avec leurs hallebardes.
De la princesse, les beaux yeux

Vont s'ouvrir au jour radieux,
Joyeux
Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Je sens mon cœur battre déjà
La la !
     (Pendant les dernières paroles de la chanson, le léger rideau s'est ouvert. Le Prince se retourne et aperçoit la belle).

LE PRINCE. - Ô merveille ! La princesse est là... endormie. Sa beauté est divine... N'est-ce pas un rêve ? Je tremble d'émoi. (Il s'approche et la regarde). Qu'elle est belle ! Ses boucles d'or encadrent ses joues roses, et ses lèvres vermeilles s'entrouvrent dans un doux sourire. En la contemplant, je sens mon cœur s'ouvrir à l'amour. (Il s'agenouille et lui prend la main). Sur cette jolie petite main, je veux mettre un tendre baiser.

     (Au moment où il lui baise la main, la princesse s'éveille, elle se dresse sur son lit en se frottant les yeux).

LA PRINCESSE. - Est-ce vous, mon prince ? Vous vous êtes bien fait attendre ?

LE PRINCE. - Ô divine princesse ! Je suis le plus heureux des princes, puisque j'ai eu le bonheur d'avoir votre premier sourire.

LA PRINCESSE. - Vous êtes mon Prince charmant. Je vous ai vu bien souvent dans mes rêves, tel que je vous vois aujourd'hui.

LE PRINCE. - Je vous aime plus que moi-même, et je n'ai qu'un désir : vivre toujours à vos côtés.
 




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