SCÈNE VI.
PIERROT, POLICHINELLE, CASSANDRE.
CASSANDRE. — Vous êtes des fripons ! Je peux vous faire pendre ; je connais, étant homme de finances, le désordre de votre comptabilité. Donnez-moi cent-mille écus, et je ne dis rien...
POLICHINELLE. — Monsieur Cassandre, vous êtes un homme d'honneur ; on le voit.
CASSANDRE. — Incontestablement !
POLICHINELLE. — Vous avez beaucoup d'argent ?
CASSANDRE. — Mon crédit le prouve.
POLICHINELLE. — Eh bien, tout est dans l'argent. Il ne vous manque plus qu'une seule chose.
CASSANDRE. — Laquelle ?
POLICHINELLE. — Une correction ! (Il le bat.)
CASSANDRE (se sauvant.) — Holà ! on apurera votre comptabilité, fripons !
SCENE VII.
POLICHINELLE, PIERROT.
POLICHINELLE. — Je n'ai promis aux gens que ce qu'ils n'avaient pas ! (On frappe.) Oh ! oh ! on nous assiège aujourd'hui ! Entrez ! cela ne me coûte pas cher. — Pierrot, j'ai cependant le bras fatigué ; moralise un peu les clients à ton tour ! Je te nomme mon fondé de pouvoirs. (Entre la Dame.)
SCÈNE VIII.
LA DAME, PIERROT, POLICHINELLE.
POLICHINELLE. — Oh ! je reprends la direction !
PIERROT. — Non ! non ! tu es fatigué.
POLICHINELLE. — Pas du tout ! Laisse-nous !
PIERROT. — Je ne te quitte pas ; je veille sur tes jours !
POLICHINELLE. — Polisson ! tu abuses...
LA DAME. — Messieurs, j'ai envie d'un cachemire, et j'ai besoin d'une petite somme...
POLICHINELLE. — Ô madame, de si beaux yeux doivent faire tomber des cachemires tout seuls du ciel !
LA DAME. — Hélas ! monsieur, mes yeux n'ont pas le don d'attendrir mon mari !
POLICHINELLE. — Pierrot, laisse-nous !
PIERROT. — Non pas ! non pas !
POLICHINELLE (à part.) — Tu me le payeras ! (À la Dame.) — Je puis vous couvrir les épaules de bleus, madame !
LA DAME. — J'aimerais mieux du rouge !
POLICHINELLE. — Voulez-vous m'embrasser ?
LA DAME. — Oh ! quelle horreur !
POLICHINELLE. — Mon secrétaire Pierrot va étendre mille cachemires à vos pieds !
LA DAME. — Ah ! je... je cède !...
POLICHINELLE (l'embrassant et la repoussant.) — Allez, madame, et ne péchez plus ! (Il la bat.)
LA DAME. — Ah ! quel guet-apens ! Ah ! la destinée des femmes est d'être toujours trompées ! — Je vais t'arracher les yeux, coquin !
POLICHINELLE. — Va-t'en, tête de linotte ! De quoi te plains-tu ? Je viens de te donner de l'expérience ! (Il la bat.)
LA DAME (se sauvant.) — Oh ! je me vengerai !
SCÈNE IX.
PIERROT, POLICHINELLE.
PIERROT. — Oh ! oh ! Polichinelle !
POLICHINELLE. — Eh ! nous effeuillons des roses ! ! !
(Bruits ; on frappe ; cris.)
VOIX. — Enfonçons la porte ! c'est un misérable, un suborneur, un voleur !
POLICHINELLE. — Diable ! Pierrot, reçois ceux-ci ; j'ai le sang à la tête : je vais aller faire un tour de promenade !
PIERROT (le retenant.) — Non pas ! non pas ! Allons, Polichinelle, voici le grand moment !
(Irruption. — La Dame, Cassandre, le Paysan, le Locataire.)
SCÈNE X.
LE PUBLIC, PIERROT, POLICHINELLE.
LE PUBLIC. — Eh bien ! il est temps de tenir tes promesses, voleur ! suborneur ! caissier infidèle ! scélérat ! Nous le prenons à la gorge, canaille ! escroc ! brigand ! Il faut s'exécuter !
POLICHINELLE (à part.) — Les majorités oppriment les minorités ! (Haut.) Vous le voulez ?
LE PUBLIC. — Oui ! oui !
POLICHINELLE. — Vous le voulez ?
LE PUBLIC. — Oui ! Oui !
POLICHINELLE. — Eh bien, suivez-moi ! (Tous sortent.)
TROISIÈME PARTIE
LA CUISINE.
LE PUBLIC, PIERROT, POLICHINELLE.
LE PUBLIC. — Comment ! il nous mène à la cuisine ?
POLICHINELLE. — Cuisine, usine, la différence n'est pas grande ! C'est céans que je fabrique nos produits. (À part.) La situation est tendue !
PIERROT (à part.) — Je décampe ! Cela va mal tourner. Chacun pour soi ! (Il se sauve.)
LE PUBLIC. — Allons, allons ! montre-nous tes talents !
POLICHINELLE (allant à une casserole.) — Non ! ce n'est pas dans cette casserole ; ici mijote un petit salmis de bécasses pour mon souper.
LE PUBLIC. — Dépêche-toi, dépêche-toi ! Tu cherches à nous amuser ! Nous ne te lâcherons plus !
POLICHINELLE (à part.) — Oh ! tout pour un éclair d'inspiration ! (Allant à une autre casserole.) C'est là !...
LE PUBLIC. — Oh ! oh ! Voyons ! voyons ! Il ne faut pas le maltraiter : il a peut-être dit la vérité !
POLICHINELLE. — Non, je me trompe ! Ici cuit un gigot braisé pour mon déjeuner ! (À part.) J'ai une sueur froide !
LE PUBLIC. — Ah ! coquin, nous te donnons encore cinq minutes ! Cinq minutes ! entends-tu ?
POLICHINELLE (À part.) — Payons d'audace. (Haut.) Cinq minutes, c'est trop ! Je n'en demande que deux ! (À part.) Je tombe en défaillance ! (Allant à l'autre casserole.) Cette fois, j'en suis sûr, c'est là que s'opère le mystère ! Écoutez ! sentez ! regardez !
LE PUBLIC. — Oh ! cela va être extraordinaire ! — Nous avons confiance en toi, Polichinelle !
POLICHINELLE (À part.) — Hélas ! pas moi ! (Haut.) Attendez, je vais chercher un peu de poudre de...
LE PUBLIC. — Non, non ! tu ne sortiras pas ! La défiance nous reprend !
POLICHINELLE. — Eh bien, puisqu'ils le veulent : Servez chaud ! (Il tire une carotte de la casserole.) Tout s'écroule ! Accordez-moi un concordat.
LE PUBLIC (consterné.) — Une carotte !
POLICHINELLE. — Elle est belle ! Elle vaut votre argent !
LE PUBLIC. — Monstre ! Mandrin ! Cartouche ! Déchirons-le en morceaux ! (Bataille.)
POLICHINELLE. — Grâce ! Grâce !
UNE VOIX. — Attendez ! attendez ! je le mettrai à la raison !
POLICHINELLE. — Ma terrible femme ! Oh ! laissez-moi m'échapper !
LA FEMME (entrant.) — Ah ! pendard ! depuis quinze jours, tu laisses ta pauvre femme et tes pauvres enfants sur la paille, tandis que tu ribotes et te livres à la débauche ! Je vais te corriger et venger toute la société ! (Elle le bat.) Tiens ! tiens !
POLICHINELLE. — Grâce ! grâce ! (Il se précipite à travers la plaque de la cheminée.)
LE PUBLIC. — Il a disparu ! Nous sommes ruinés, dépouillés, enfoncés !
LA FEMME. — Le lâche ! Je le retrouverai ! Ce n'est pas fini !
QUATRIÈME PARTIE
LA FORÊT. (Une statue au premier plan.)
SCÈNE PREMIÈRE.
POLICHINELLE. — Hélas ! hélas ! me voilà sans feu ni lieu ! Je meurs de faim et de soif ; je me suis égaré ; je crève de fatigue ! Oh ! j'expie mes fautes, mes grandes fautes ! Que le bon Dieu me vienne en aide ! Je commence à croire qu'il y en a un ! — Oh ! que vois-je ?... Cette voiture ! Pierrot ! ! ! Je suis sauvé ! (Entre Pierrot avec la voiture.)
SCÈNE II.
PIERROT, POLICHINELLE.
POLICHIHELLE (courant après.) — Pierrot ! Pierrot ! mon ami !
PIERROT. — Ah ! c'est toi !
POLICHINELLE. — Viens à mon aide !... Je vais remonter dans ma voiture !
PIERROT. — Du tout ! du tout ! elle est à moi ! Si tu n'as pas su faire tes affaires, j'en suis fâché !... Tu n'es pas intelligent !
POLICHINELLE. — Ingrat !... Moi qui t'ai tiré de la fange !
PIERROT. — Imbécile ! il ne fallait pas y retomber ! Je ne te connais pas ! Passe ton chemin. Je deviens millionnaire. Adieu ! tire-toi de là comme tu pourras ; tu n'es bon à rien !... Bonne chance ! (Il part.)
POLICHINELLE. — Coquin ! coquin ! coquin ! Oh ! madame la statue ! sans moi que serait-il ? J'ai fait la fortune de cet homme, et telle est sa reconnaissance ! Et moi, hier encore, gros, gras, buvant et mangeant bien, me voilà aujourd'hui réduit à brouter l'herbe !... Ah ! créature de marbre, tu ne t'attendriras pas sur mes malheurs ! — Oh ! ma femme ! cachons-nous ! Plutôt la mort que de reprendre mon collier ! (Entre la femme. — Il se cache.)
LA FEMME. — Dussé-je aller le chercher en enfer, je le retrouverai !
(Elle sort. — Entre le Paysan.)
POLICHINELLE. — Eh ! mon cher ami ?
LE PAYSAN. — Tiens ! c'est ce gueux de bourgeois qui nous a fait perdre notre argent.
POLICHINELLE. — Je te le rendrai dans le ciel, mon ami !
LE PAYSAN. — Allez au diable ! Vous êtes une rencontre de malheur !
POLICHINELLE. — Indique-moi mon chemin !
LE PAYSAN. — Pour aller au diable ? je veux bien.
POLICHINELLE. — Pour sortir de cette forêt et trouver où manger !
LE PAYSAN. — Pour aller au diable, faut prendre ce petit sentier-là, toujours tout droit !
POLICHINELLE. — Allons ! n'abuse pas de mon infortune !
LE PAYSAN. — Satané enjôleur ! je vous dis d'aller par là ! Moi, je vais par ici ! (Il sort.)
POLICHINELLE. — Ah bah ! mon étoile me conduira !
CINQUIÈME PARTIE
L'ENFER.
POLICHINELLE, LA MORT, LE DIABLE, LA FEMME,
LE PUBLIC.
POLICHINELLE. — Eh bien, non, ce paysan pourrait dire la vérité ! Holà ! qui est-ce ? la Mort ? (Entre la Mort.)
LA MORT. — Polichinelle, il faut que tu te pendes !
POLICHINELLE. — Vous êtes folle, je veux devenir immortel !
LA MORT. — Il le faut !
POLICHINELLE. — Il n'y a que ma femme qui me fait peur ! Ne m'approchez pas, je vous romprais les os ! Ou plutôt non, écoutez ! Je connais une excellente affaire !
LA MORT. — En vérité ?
POLICHINELLE. — Possédez-vous quelques capitaux ? Confiez-les-moi !
LA MORT. — Coquin, tu es incorrigible ! (Elle le bat.)
POLICHINELLE. — Oh ! je suis mort !
LA MORT. — C'est bien, le diable va venir te chercher ! (Elle sort.)
POLICHINELLE (se relevant.) — Drôlesse ! tu m'as cru mort, mais je suis plus roué que toi ! J'aime encore mieux avoir affaire au diable qu'à ma femme ! (Entre le Diable.)
LE DIABLE. — Comment ! tu es encore vivant ?
POLICHINELLE. — Je vous enterrerai tous !
LE DIABLE. — Tu vas me suivre ! tant pis !