THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

CASSANDRE (id.) — Saperlotte, tu m'arraches ma redingote !

MORICAUD (id.) — Moi guéri.

CASSANDRE (id.) — Mais tu me fais aller comme une écrevisse !

MORICAUD (le repoussant.) — Moi guéri. Vous aller promener ! P'ti Zannette et moi faire tout en deux minutes !

CASSANDRE (échappant.) — Je ne veux pas que tu m'accuses d'avoir le cœur dur, tu prendras un peu de bouillon. (Se penchant sur la marmite.) Oh ! voilà un singulier pot-au-feu ! (Tirant ses bottes.) Ma botte... mes bottes ! Approche, coquin ! Comment se fait-il...

MORICAUD. — O histoire étonnante ! bottes entrer toutes seules dans marmite !

CASSANDRE. — Tu veux me faire croire que mes bottes sont entrées toutes seules clans la marmite ?

MORICAUD. — Moi avoir voulu empêcher ! bottes avoir tapé moi, derrière ! moi peur ! les laisser entrer !

CASSANDRE (tirant son habit.) — Oh ! et mon habit aussi... mon bel habit de noces ! (Prenant un bâton.) Ah ! bandit, tu vas m'avouer la vérité !

MORICAUD (insolemment.) — Si maîte pas content, payer compte à moi et moi partir.

CASSANDRE (allant à l'armoire.) — C'est juste, tu es plus fort sur les droits que sur tes devoirs... Eh ! mon sac n'y est plus ! Moricaud, où est mon sac d'argent ?

MORICAUD. — Oui, vous faire farces à pauvre domestique !

CASSANDRE. — Mais je crois que c'est toi qui m'en fais... de terribles farces !

MORICAUD. — Vous sans le sou ! vous faire semblant perdre argent pour pas payer, vous menteur, vous voler gage à moi, vous voler sueur à pauvre nègue, vous coquin, filou, canaille, moi faire pendre vous !

CASSANDRE. — Veux-tu te taire ! ... Eh bien, il arrange joliment les affaires. Est-il bête ?

MORICAUD. — Vous pas riche, vous gueux comme rat, vous pas grand chose, vous rien du tout. Moi donner bouillon pointu à vous !

CASSANDRE. — Oh ! par exemple.

MORICAUD. — Moi dire aux voisins vous tirer diable par la queue !

CASSANDRE. — Oh ! le scélérat, il détruirait ma réputation dans le quartier ! (À part.) Je n'ose pas le taper, il me prendrait mon bâton et me rosserait.

MORICAUD. — Moi flanquer pile à bon maîte !

CASSANDRE (à part.) — Qu'est-ce que je disais ! Mon petit Moricaud, ne dis rien, ne te fâche pas, je double tes gages.

MORICAUD. — Li gentil, li faire tout ce que bon domestique vouloir ! (Il le fait danser en chantant.) Li doubler mes gages... toujou, toujou comme ça.

MORICAUD. — Oh ! moi toujours excellent domestique. Vous doubler gages aussi à pti Zannette !

CASSANDRE — Hou !

MORICAUD. — Ah ! mais si !

CASSANDRE (effrayé.) — Oui, oui ! dis-lui de venir.

MORICAUD. — Tout site ! (Il sort.)

CASSANDRE. — Il coûte cher pour se faire servir. (Allant à l'armoire.) Houm ! il en coûte fort cher. Mais il est si dangereux d'être en guerre avec ses domestiques... ils connaissent tellement les secrets de la maison ! (Entre Jeannette.)

JEANNETTE. — Monsieur me fait demander ?

CASSANDRE. — Oui, c'est pour vous annoncer que je double vos gages !

JEANNETTE — La belle penette !

CASSANDRE. — Hein ? la belle... quoi ?

JEANNETTE. — La belle avance !

CASSANDRE. — C'est au moins un avancement. Vous n'êtes pas contente ?

JEANNETTE — On est toujours malheureux de servir les autres !

CASSANDRE (à part.) — Que la peste te travaille les os !

JEANNETTE. — Je ne veux pas qu'on me dise d'insolences.

CASSANDRE. — Ah çà, vous êtes folle !

JEANNETTE. — Je veux qu'on soit poli avec moi, (Le souffletant.) entendez-vous ?

CASSANDRE. — Oh !  Comment, scélérate...

JEANNETTE. — Vous recommencez !  ! v'li et v'lan ! (Elle le bat.)

CASSANDRE. — Oh là ! mais coquine tu vas me tuer. Laisse-moi, je triple tes gages !

JEANNETTE. — Je veux être bien traitée. Puisque vous m'avez battue...

CASSANDRE. — Moi.... je croyais que c'était le contraire....

JEANNETTE. — Ramassez mon bonnet et remettez-le moi sur la tête !

CASSANDRE. — Voilà, Jeannette, voilà. La paix est-elle faite ? (Jeannette s'évanouit.) Allons, bon ! (Désolé.) Oh ! je serai donc toujours garde-malade ! Mon Dieu ! mon Dieu ! que je lui fasse respirer quelques sels, quelque chose ! (Il prend la seringue et la lui met au nez.) Cela ne l'émeut pas ! ... il faut que je coure chez le pharmacien. (Il sort.)

JEANNETTE. — Voilà comme on finit par améliorer sa position. Mille écus gagnés ! les gages triplés et se faire servir par son maître ! (Rentre Cassandre.)

CASSANDRE. — Ah ! vous voilà rétablie ! Eh bien ! ma bonne Jeannette, je vous en prie, faites-moi, ainsi que Moricaud, l'honneur de vouloir bien ranger la chambre. C'est votre très humble et très obéissant maître qui vous en supplie. (Sortant, puis rentrant.) Non, je crois avoir trouvé une meilleure combinaison ! (Au public.) Puisque mes domestiques ne travaillent pas, mais se font soigner et énormément payer par moi, je changerai de rôle avec eux ! ils seront les maîtres, je serai le serviteur. Ils me nourriront, me payeront bien, me soigneront et travailleront. Bonne idée ! (Il chantonne.)

JEANNETTE. — Qu'avez-vous donc ?

CASSANDRE. — Écoute : désormais, Moricaud et toi serez maîtres, et moi je serai votre domestique.

JEANNETTE. — Ah ! je veux bien.

CASSANDRE. — Alors, va vite prévenir Moricaud.

JEANNETTE. — Oh ! il ne sera pas long à venir ! (Elle sort.)

CASSANDRE. — Oui, oui, j'ai pris le bon parti ! Il me tarde d'avoir le gilet rouge et le plumeau ! (Entre Moricaud.)

MORICAUD. — Oh ! moi savoir gande nouvelle. Moi deveni massa, et massa deveni nègue.

CASSANDRE. — Puisque cela te convient, commençons à l'instant. Donne-moi ton gilet rouge et prend ma lévite orange. Attends, je vais me déshabiller. (Il sort.)

MORICAUD. — Li pas savoir mener domestique. Moi rende li nègue parfait, avec bon bâton ! Si li faire farces, gare ! (Cassandre rentre en déshabillé.)

CASSANDRE. — Allons, cours mettre ma lévite ! (Moricaud sort.) Plus de soucis, plus de tracas. (Dansant en chantant.) Dansez, pèr' Cassand', dansez... (Moricaud rentre habillé.) Bravo ! je vais mettre ton gilet. (Il sort.)

MORICAUD. — Moi beau comme pti amour ! Li bêta. Moi taper li solide ! (Cassandre rentre et prend le plumeau.) Vous bien nègue ! mais falloir chapeau à moi, moi prendre bonnet de coton. Allons, toi, nègue ! donner à moi bonnet de coton et marcher vite.

CASSANDRE (à part.) — Je vais faire comme lui ! (S'asseyant.) Oh ! je suis fatigué !

MORICAUD. — D'ôle, moi faire obéir toi ! (Prenant le bâton.) Toi pas assis !

CASSANDRE. — Eh ! eh ! Doucement.

MORICAUD (le tapant.) — Toi donner à moi bonnet de coton.

CASSANDRE. — Eh ! eh ! (Il se lève.)

MORICAUD (tapant.) — Vite ! toi servir mieux ! nègue fainéant.

CASSANDRE (courant et prenant le bonnet.) — Eh ! mais ce n'esl pas comme ça que je faisais avec toi, Moricaud !

MORICAUD (tapant.) — Toi pas appeler moi Moricaud, appeler moi bon maîte ! Moi appeler toi drôle !

CASSANDRE. — Bon maître, voici le bonnet de coton ! (À part.) Ah çà ! mais ça ne me réussit pas comme à lui. Comment donc s'y prenait-il ? Ah ! oui... la colique !

MORICAUD. — Allons, mauvais nègue, toi cirer bottes, toi travailler comme cheval ! pas rester là à rien faire !

CASSANDRE (tombant à terre.) — Oh là ! j'ai la colique !

MORICAUD (à part.) — Oh ! li singe ! (Haut.) Moi guérir toi avec lavement de bois.

CASSANDRE. — Oh ! j'ai soif ! la colique !

MORICAUD (tapant.) — Moi apprendre toi mentir.

CASSANDRE. — Aïe ! aïe ! Assez.

MORICAUD. — Toi oser avoir encore colique !

CASSANDRE. — Non, non !

 

MORICAUD. — Allons, drôle, toi cirer et mettre bottes à moi.

CASSANDRE. — J'ai donc mal compris les choses ? Quand il était domestique, le métier ne me semblait pas si rude. (Il prend la botte.)

MORICAUD (étendant son pied.) — Allez, vilain nègue !
(Cassandre met la botte et en reçoit un coup sur le nez.)

CASSANDRE. — Aïe ! Oh ! oh ! mais de mon temps ça ne se passait pas comme ça. Je m'étais figuré que mes domestiques n'avaient que du plaisir.

MORICAUD. — Toi cirer bottes, hardi !

CASSANDRE. — Mais c'est que j'ai faim ! et réellement je n'ai pas mangé depuis ce matin.

MORICAUD. — Quand domestique beaucoup manger, li être lourd et paresseux. Quand domestique avoir ventre creux, li léger et vif. Allons, toi cirer, gand fainéant. (Il le tape.)

CASSANDRE. — Voilà, voilà ! (Il cire la botte.)

MORICAUD (lui donnant un coup de pied au derrière.) — Toi cirer moi figure pour moi ête beau comme botte.

CASSANDRE. — Oh ! voilà, voilà ! (Il lui brosse la joue.)

MORICAUD. — Toi écorcher moi, maraud !

CASSANDRE. — Ah ! ah ! ! le service est décidément fort pénible. (Il apporte la pipe.)

MORICAUD. — Toi bourrer, coquin ! (Cassandre bourre.) Toi allumer, maroufle ! (Cassandre allume.) Toi faire chambre, vif et ferme, allons ! (Il le bat.)

CASSANDRE. — Oh ! oh ! tout le dos me fait mal ! J'en ai assez.

MORICAUD (tapant.) — Va ! (Cassandre fait la chambre en sautant avec vivacité.) Fauteuil pas bien épousseté, toi recommencer.

CASSANDRE (recommence.) — Voilà !

MORICAUD. — Stupide ! toi épousseter encore, diable !

CASSANDRE (recommence et s'épuise.) — Oh ! oh ! quand j'étais maître, je ne me rendais pas compte des choses, moi qui accusais les domestiques de fainéantise.

MORICAUD. — Allons, toi, respect ! toi saluer moi !

(Il le tape. — Cassandre salue profondément. — Moricaud sort.) 

CASSANDRE. — Aff ! ouff ! je croyais me reposer, être nourri, payé, servi et soigné ! et... ah ! voici Jeannette, je retrouverai avec elle les avantages de ma combinaison. (Entre Jeannette.) Ah ! Jeannette !...

JEANNETTE. — Eh bien ! laquais ! ... tâchez un peu de parler à la troisième personne et d'obéir... Sachez que madame veut manger.

CASSANDRE (à part.) — Elle s'est évanouie... bon ! (Haut.) Ah ! c'est bien triste de servir les autres, quand soi-même on n'a pas mangé. (Il feint de s'évanouir.)

 

JEANNETTE. — Cet insolent s'imagine que les fauteuils sont faits pour lui. (Elle prend un bâton.) Hé ! là ! pas de faiblesses, coquin ! (Elle le bat.)

 




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