THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

MADAME CASSANDRE. — Envieuse !


MADAME CABABUCHE. — Vieux cabas !


MADAME CASSANDRE. — Pomme cuite !


MADAME CABABUCHE. — Carabosse édentée !


MADAME CASSANDRE. — Pantoufle de rebut !


MADAME CABABUCHE. — Tenez, sur votre minois lézardé ! (Elle la bat.)


MADAME CASSANDRE. — Tenez, sur votre museau tanné ! (Elle la bat. — Entre Gripandouille ; elles sortent en se battant.)


GRIPANDOUILLE. — Les deux charmantes créatures ! J'ai bien fait de me cacher après m'être aperçu que j'avais perdu ma lettre ! Ah ! Madame Cassandre veut venir au rendez-vous ! Eh bien, je lui enverrai un bon camarade ! Hé ! monsieur Cassandre ! (Entre Cassandre.)  —  Monsieur Cassandre, aimez-vous madame Cassandre ?


CASSANDRE. — Oui, quand elle fait bien la soupe.


GRIPANDOUILLE. — Et trouvez-vous depuis quelque temps sa soupe fort bonne ?


CASSANDRE. — Hélas ! exécrable.


GRIPANDOUILLE. — C'est parce qu'elle met son nez partout ailleurs que dans sa marmite.


CASSANDRE. — Hélas ! à qui le dites-vous ?


GRIPANDOUILLE. — Madame Cassandre a un rendez-vous ici tout à l'heure !


CASSANDRE. — Avec qui ?


GRIPANDOUILLE. — Avec un jeune homme, et voilà pourquoi elle néglige votre soupe !


CASSANDRE. — Ah ! la coquine ! Mais que faire ?


GRIPANDOUILLE. — Allez-y avec un bon bâton et battez-la comme plâtre !


CASSANDRE — On ne peut jamais être tranquille !


GRIPANDOUILLE. — Dépêchez-vous ! dépêchez-vous !


CASSANDRE. — Oui, oui ! Ah ! mon Dieu ! que de dérangements ! (Il sort.)


GRIPANDOUILLE — Enfin, j'aurai tiré mon épingle du jeu ! (Entre madame Cababuche. — Gripandouille sort.)


MADAME CABABUCHE. — Polichinelle va passer ici, et je le préviendrai du rendez-vous. De toutes les façons, ce sera amusant : si c'est madame Polichinelle ou madame Cassandre qui vient, celle qui arrivera sera battue, Gripandouille aussi ! Hi ! hi ! hi !... (Entre Polichinelle.) — Ah ! monsieur, ah ! mon pauvre monsieur !


POLICHINELLE. — Eh bien ! eh bien ! suis-je donc si à plaindre ? Vous m'inquiétez !


MADAME CABABUCHE. — Ah ! mon pauvre monsieur, je vous attendais avec impatience ! Ah ! quel malheur pour vous !


POLICHINELLE. — Eh ! diable, dites donc quoi !


MADAME CABABUCHE. — Votre femme...


POLICHINELLE. — Ma femme...


MADAME CABABUCHE. — Gripandouille... Ah ! c'est affreux !


POLICHINELLE. — Mais quoi ? mais quoi donc ? quoi ? bavarde ! dites-le vite !


MADAME CABABUCHE. — Ils ont un rendez-vous ici, tout  à  l'heure !


POLICHINELLE. — Oh ! ! !


MADAME CABABUCHE. — Courez chercher votre bâton !


POLICHINELLE. — Oh ! ! ! je les mettrai en fricassée ! (Il s'éloigne.)


MADAME CABABUCHE. — Vous ne me remerciez pas ?


POLICHINELLE. — Vieille drogue ! tu aurais mieux fait de retenir ta langue. (Il sort.)


MADAME CABABUCHE. — Quelle race que ces hommes ! quelle race ! Nous allons voir la danse maintenant ! Hi ! hi ! hi ! (Elle sort. — Entre madame Cassandre voilée.)


MADAME CASSANDRE. — Que le temps est long ! Ce Gripandouille ne viendrait-il pas ? Ah ! j'entends marcher ! (Entre Cassandre de l'autre côté.) Le voilà ! (Elle se retourne.) Bon Dieu ! mon mari !


CASSANDRE. — Vous ne m'attendiez pas ?


MADAME CASSANDRE. — Mais si ! mais si ! Je savais que vous faisiez, vous aussi, la cour à madame Polichinelle !


CASSANDRE. — Moi ?


MADAME CASSANDRE. — Oui, vous !


CASSANDRE. — Menteuse et coquine !


MADAME CASSANDRE. — Débauché !


CASSANDRE. — Ah ! par exemple ! Vous allez rentrer sur-le-champ, et désormais vous me ferez de meilleure soupe, sinon je vous bats ! (Entre Polichinelle.)


POLICHINELLE. — Ah ! je vous y prends, infâme ! (Il bat madame Cassandre.)


MADAME CASSANDRE. — Holà ! Holà !


CASSANDRE. — Quel est ce fou ?


POLICHINELLE. — Ah ! et toi, Gripandouille, ton dernier jour est arrivé ! (Il les bat tous deux.) Pif ! paf ! pif ! paf !

CASSANDRE et MADAME CASSANDRE. — Holà ! Holà !


CASSANDRE. — Mais je suis Cassandre !


MADAME CASSANDRE. — Je suis madame Cassandre.


POLICHINELLE. — Ah bah ! (Il les regarde.) Mais oui, c'est bien cette vieille bête ! c'est bien cette méchante femme ! Ce n'était pas vous deux que je voulais battre : mais, après tout, il n'y a que demi-mal !


CASSANDRE. — Je suis brisé !


MADAME CASSANDRE. — Je suis défoncée ! (Entre madame Cababuche.)


MADAME CABABUCHE. — Eh bien, ma chère, êtes-vous satisfaite du rendez-vous ? Et vous, Gripandouille ? Tiens ! ce n'est pas Gripandouille qui a été battu ?


CASSANDRE. — Non, c'est moi !


POLICHINELLE. — Ah ! toi, vieille scélérate, tu as calomnié ma femme, tu m'as rempli l'âme de chagrin par tes mensonges, tu m'as fait déranger, tu m'as exposé à assommer ce bon monsieur Cassandre et madame sa femme ! À ton tour ! (Il la bat.)


MADAME CABABUCHE. — Holà ! Holà !


CASSANDRE. — Monsieur Polichinelle, à la bonne heure ! Je vous rends mon estime. Allons boire un petit coup ! (Ils sortent.)


MADAME CABABUCHE. — Ah ! ma pauvre amie, nous n'avons pas de chance ! C'est toujours sur notre dos que les coups retombent !


MADAME CASSANDRE. — C'est vous qui m'avez procuré ces coups de bâton !


MADAME CABABUCHE. — Ne nous disputons pas ! Tenez, voilà monsieur Cassandre qui revient ; poussez-le ferme, je vais chercher monsieur Cababuche. Ah ! Polichinelle, tu entendras parler de nous !


MADAME CASSANDRE. — Oh ! oui, nous sommes trop malheureuses ; il faut que cela change ! (Entre Cassandre.) — Entendez-vous, monsieur Cassandre, on m'a battue et on vous a battu : laisserez-vous impunis tous ces outrages, lâche que vous êtes ?


CASSANDRE. — Mais puisque Polichinelle s'est trompé !


MADAME CASSANDRE. — Comment ! il s'est trompé ? Il recommencera demain ou après-demain, et vous aurez la même excuse !


CASSANDRE. — Mais puisque nous avons bu un petit  coup  ensemble !


MADAME CASSANDRE. — Lâche ! poltron ! lièvre ! je vous barbouillerai la figure avec mon balai, je mettrai du poivre dans votre soupe, je vous jetterai votre vin au nez, jusqu'à ce que vous ayez vengé votre honneur !


CASSANDRE. — Mais que faut-il donc que je fasse ?


MADAME CASSANDRE. — Il faut tuer Polichinelle, entendez-vous ? le tuer ! poule mouillée !


CASSANDRE. — Eh bien, eh bien, je le tuerai, pour avoir la paix dans mon ménage ! Je le tuerai ! je le tuerai !


MADAME CASSANDRE (lui donnant un bâton.) — Eh bien ! armez- vous !


CASSANDRE (feignant de ne pas voir.) — Oui, oui ! Où est-il, que je le massacre !


MADAME CASSANDRE. — Eh bien ! prenez donc cette arme !


CASSANDRE. — Ah ! je suis prêt ! Et lui, est-il prêt ?
(Entrent monsieur et madame Cababuche.)


MADAME CABABUCHE. — Ah ! vous laisserez battre votre femme ! Mais je vous ferai attacher une casserole aux pans de votre habit, si vous refusez de me venger !


CABABUCHE. — Mais, bon Dieu ! si l'on vous écoutait, il faudrait exterminer tout le quartier !


MADAME CABABUCHE. — Ne rougissez-vous pas devant monsieur Cassandre, qui est si brave ?


CASSANDRE. — Oui, oui, je suis brave !


MADAME CABABUCHE. — Je couperai une brosse dans votre lit ; je mettrai de la poix dans vos ragoûts, homme sans cœur !


MADAME CASSANDRE. — Elle fera bien ! Oh ! le cœur vil !


CABABUCHE. — Eh bien ! je le tuerai, moi aussi, pour avoir la paix dans mon ménage !


MADAME CASSANDRE. — À la bonne heure ! que je vous embrasse. Armez-vous !


MADAME CABABUCHE (présentant une casserole.) — Armez-vous, le temps presse !


CABABUCHE. — Mais le bâton de monsieur Cassandre suffira.


CASSANDRE. — Oh ! je vais vous le prêter, si vous le désirez.


MADAME CABABUCHE- — Allons, allons ! pas de faiblesse ! (Elle le coiffe de la casserole.)


CABABUCHE. — Eh ! eh ! je n'y vois plus clair ! (On le décoiffe.)


MADAME CABABUCHE. — Voilà monsieur Polichinelle qui vient là-bas. Faites votre devoir : nous vous regarderons de loin ! (Elles sortent.)


CASSANDRE. — Tuons-le !


CABABUCHE. — Tuons-le !


CASSANDRE. — Il n'ose pas avancer ! Massacrons-le !


CABABUCHE. — Réduisons-le en poudre !
(Entre Polichinelle.)


CASSANDRE. — Oh ! ne parlons pas si haut ! À vous, monsieur Cababuche, l'honneur de commencer.


CABABUCHE. — Non, merci, je vous cède le premier rang !


CASSANDRE. — Allons ensemble, alors !
(Ils s'approchent. — Polichinelle se retourne vers Cassandre.)


POLICHINELLE. — Quoi ?


CASSANDRE (se sauvant.) — Rien !


POLICHINELLE (se retournant vers Cababuche.) — Quoi ?


CABABUCHE (se sauvant.) — Rien, oh ! rien !


POLICHINELLE. — Vous faisiez bien du bruit, tout à l'heure ?


CASSANDRE. — Non... nous causions à voix basse !


CABABUCHE. — Oui, oui !


POLICHINELLE (à Cassandre.) — Qu'est-ce que ce bâton ?


 




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