THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE CORBEAU (entrant.) — Croa ! croa ! cela sent le roussi ! ça brûle ! ça brûle !

LA VOIX DU RAMONEUR. — Corbeau ! Corbeau ! si tu n'es pas mon ennemi, ouvre-moi la porte : j'étouffe.

LE CORBEAU (tapant sur la porte avec son bec.) — Toc, toc, toc !

LA VOIX DU RAMONEUR. — Je serai ton domestique, si tu veux.

LE CORBEAU (ouvrant la porte.) — Qui est-ce qui brûle, qui est-ce qui brûle ?

LE RAMONEUR (avançant la tête hors du four.) — Oh ! je respire !

LE CORBEAU (lui donnant des coups de bec.) — Croa ! croa !

LE RAMONEUR (rentrant vivement dans le four.) — Tu veux donc me crever les yeux ?

LE CORBEAU — Coa ! coa ! Haut-en-Bas ! ramone le four ! Dans le four, il y a une clef : c'est la clef d'une cage. Haut-en-Bas ! (Il s'éloigne en sautillant.)

LE RAMONEUR (sortant vite.) — Que veut-il dire avec sa clef, la clef d'une cage ? et les coups de bec qu'il m'a donnés ? Est-ce pour m'indiquer que je dois chercher cette clef ? (Regardant dans le four.) Voilà bien une clef ! (La tirant hors du four.) Mais où est la cage ? Ah ! la Cuisinière m'a dit que la princesse d'Azur était enfermée clans une cage.
(Le Roi Noir entre et le heurte. — Le Ramoneur cache la clef.) 

LE ROI NOIR. — Comment ! maudit Ramoneur ! on ne l'a pas jeté dans le four ? Qu'est donc devenu le Boulanger ?

LE RAMONEUR. — Il est entré là-dedans.

LE ROI NOIR. — C'est toi, vilain Ramoneur, qui as fait cuire mon Boulanger ? Le feu est éteint. Puisque tu as échappé au feu, je le jetterai dans le puits, nous verrons si tu échapperas à l'eau.

LE RAMONEUR. — Laissez-moi encore faire ma petite prière.

LE ROI NOIR. — Qu'elle ne soit pas longue !

LE RAMONEUR (allant à l'écart et à demi-voix.) — Haut en bas !

LA VOIX DU CORBEAU (caché dans un arbre.) — Haut-en-Bas !

LE RAMONEUR. — Ne me laisse pas mourir, puisque tu me veux du bien.

LA VOIX DU CORBEAU. — Laisse-toi faire.

LE ROI NOIR. — Qu'est-ce que lu marmottes donc là ? avec qui parles-tu ? C'est avec mon Corbeau : oh ! oh ! le Corbeau le payera cher ! (Prenant le Ramoneur.) Allons, dans le puits !

LE RAMONEUR. — Ah ! je tombe en faiblesse.
(Il s'évanouit, et en tombant, sa tête cogne rudement celle du Roi Noir.)

LE ROI NOIR. — Eh ! eh ! coquin ! tu oses me toucher ? Ah ! il s'est évanoui ! (Le traînant par les pieds jusqu'au puits, il l'y précipite. — On entend l'eau faire : flouc.) Et maintenant, à nous deux, Corbeau. (Appelant.) Corbeau !

LA VOIX DU CORBEAU. — Croa ! croa !

LE ROI NOIR. — Corbeau, viens ici, sur-le-champ ! (Regardant dans le puits.) Rien ne bouge ! (Entre le Corbeau.) Viens ici ! Pourquoi ne m'as-tu pas averti que le Ramoneur avait fait cuire le Boulanger, méchant animal, perfide, traître ?

LE CORBEAU. — Croa ! croa l

LE ROI NOIR. — Pourquoi causais-tu en secret avec le Ramoneur ? Je veux que tu ne parles à personne.

LE CORBEAU. — Croa ! croa !

LE ROI NOIR. — Ah ! tu ne veux plus parler !

LE CORBEAU. — Tu veux que je ne parle à personne.

LE ROI NOIR. — Ah ! ah ! tu deviens bien spirituel ! (Prenant un bâton.) Tiens, coa ! coa ! coa ! voici pour ta désobéissance. (Il bat le Corbeau, puis sort.)

LE CORBEAU (allant au puits.) — Haut-en-Bas !

LA VOIX DU RAMONEUR (faible, au fond du puits.) — Haut en bas !

LE CORBEAU. — Au fond du puits, il y a un sabre ; c'est un sabre pour couper la tête.

LA VOIX DU RAMONEUR. — J'ai trouvé le sabre.

LE CORBEAU. — C'est le sabre du père de la princesse d'Azur ; c'est le frère du Roi Noir. Le Roi Noir l'a fait jeter dans le puits pour prendre ses trésors et épouser sa fille.

LA VOIX DU RAMONEUR. — Fais-moi sortir d'ici, je suis à bout de forces.

LE CORBEAU (déroulant la corde du puits.) — Prends la corde.

LA VOIX DU RAMONEUR. — Je la tiens.

LE CORBEAU (tirant la corde.) — Haut-en-Bas !

LE RAMONEUR (apparaissant et joyeux.) — Haut en bas !

LE CORBEAU. — Maintenant, tu as le sabre : il faut couper la tête au Roi Noir et ouvrir la cage de la Princesse d'Azur.

LE RAMONEUR. — Marchons ! Mais qui es-tu, toi ?

LE CORBEAU. — Je suis le vieux Corbeau de la Princesse d'Azur, et j'avais fait semblant de me mettre au service du Roi Noir pour rester près de la Princesse d'Azur.

LE RAMONEUR. — Corbeau ! allons tuer le Roi Noir.

LE CORBEAU. — La Princesse d'Azur sait que tu es arrivé dans le château, et elle l'attend pour t'épouser si tu la délivre.
 

TROISIÈME PARTIE

LE CAVEAU DU ROI NOIR. — LE BOUT D'UNE GRANDE CAGE DANS UN COIN.


LE ROI NOIR (entrant avec la Cuisinière.) — Aujourd'hui, si la Princesse d'Azur persiste encore à refuser d'être ma femme, je suis décidé à vous tuer tous. Ainsi, tâchez de la persuader. (Il sort.)

LA CUISINIÈRE (amenant en avant la cage où est enfermée la Princesse d'Azur.) — Elle dort. Princesse d'Azur, réveillez-vous ! Princesse d'Azur, réveillez-vous ! Hélas ! le Roi Noir a juré que si vous ne l'épousez pas aujourd'hui même, il nous tuera tous !

LA PRINCESSE D'AZUR. — Non, non, jamais ! j'aime mieux mourir !

LA CUISINIÈRE — Ô Princesse d'Azur ! songez que nous allons tous être tués, et que nous voudrions bien rester vivants.

LA PRINCESSE D'AZUR.—Ah ! mon Dieu, il faudra donc que je l'épouse pour vous conserver la vie, mais moi j'en mourrai. (On entend frapper à la porte : Toc, toc, toc !) Remettez la cage, Nourrice, je ne veux pas voir le Roi Noir.
(La Cuisinière repousse la cage hors de la scène.)

LA CUISINIÈRE. — Elle ne l'épousera pas et nous serons tous tués. (On frappe de nouveau : Toc, toc, toc !) Mais le Roi Noir ne frapperait pas, il a la clef. Qui est donc là ? (Elle va ouvrir la porte. — Le Corbeau entre.) Ah ! te voilà, méchant Corbeau.

LE CORBEAU.— Croa ! croa !

LA CUISINIÈRE. — Tu nous as abandonnées !

LE CORBEAU. — Haut-en-Bas !

LA CUISINIÈRE. — Oui, tu l'as fait cuire dans le four.

LE CORBEAU. — Haut-en-Bas a la clef de la cage et le sabre du père de la Princesse d'Azur. Il va venir pour couper la tête au Roi Noir.

LA CUISINIÈRE. — Méchant Corbeau ! ce sont des mensonges pour nous railler.

LE CORBEAU. — Croa ! croa ! qui vivra verra.

LA CUISINIÈRE. — Le Roi Noir va tous nous tuer tout à l'heure : je lui dirai du mal de toi pour qu'il te fasse mourir avec nous.

LE CORBEAU. — Croa ! croa ! il faut se dépêcher alors. Je vais prévenir Haut-en-Bas. (Il sort.)

LA CUISINIÈRE. — C'est quelque piège.

(Entre le Roi Noir avec son grand sabre) 

LE ROI NOIR. — Allons ! il faut se décider. Je n'ai point retrouvé la clef de la cage, que j'avais cachée dans le four, et en puisant dans le puits j'ai senti que le maudit Ramoneur n'y était plus. Je tuerai tout le monde : toi, Cuisinière, je vais t'enterrer dans la farine ; je pendrai la Princesse d'Azur aux barreaux de sa cage, j'étranglerai le Corbeau, et je couperai la tête au maudit Ramoneur. (On entend crier au dehors : Haut en bas !) Le misérable vient par ici. À mort ! Cuisinière.

LA CUISINIÈRE. — Ah ! mon Dieu, au secours ! ne me tuez pas ! laissez-moi dire adieu à la Princesse d'Azur.

LE ROI NOIR. — Hâte-toi ! (La Cuisinière passe dans le recoin où est la cage. — Le Roi Noir aiguise son sabre.) Eh bien ! est-ce bientôt fini ?

LA VOIX DE LA CUISINIÈRE. — Hélas ! je l'embrasse. (On frappe à la porte ; toc, toc, toc !)

LE ROI NOIR. — Qui est là ?

LA VOIX DU CORBEAU. — Croa ! croa ! ouvrez vite !

(Le Roi Noir ouvre la porte. — Le Corbeau entre.) 

LE ROI NOIR. — Tu arrives bien : je vais tous vous tuer, et c'est par toi que je commencerai.

LE CORBEAU. — Croa ! croa ! il s'agit d'autre chose. Haut-en-Bas a retrouvé le sabre du père de la Princesse d'Azur, et il monte l'escalier pour vous couper la tête.

LE ROI NOIR. — Que dis-tu, méchant Corbeau ! Crois-tu que j'aie peur de ce maudit Ramoneur ?

LE CORBEAU. — Croa ! croa ! tu n'as pas peur, mais tu n'as pas pu faire brûler Haut-en-Bas dans le four, tu n'as pas pu le noyer au fond du puits. Il est plus fort que toi, et il a trouvé le sabre du Roi Bleu qui coupe les têtes tout seul !

VOIX DE LA CUISINIÈRE ET DE LA PRINCESSE D'AZUR. — Corbeau ! Corbeau ! appelle vite le joli Ramoneur pour qu'il tue le Roi Noir.

LE ROI NOiR (furieux.) — Vous serez morts avant qu'il arrive ! (On entend dans l'escalier les pas du Ramoneur qui font plac, plac !)

LE CORBEAU. — Dis-moi vite où est ton argent, Roi Noir. Nous en donnerons beaucoup au joli Ramoneur, et il s'en ira sans te faire de mal ! Entends-tu ses pas qui font plac, plac, dans l'escalier ?

VOIX DE LA CUISINIÈRE ET DE LA PRINCESSE D'AZUR.— Hélas ! méchant, méchant Corbeau ! il veut que nous mourrions !

LE ROI NOIR. — Tu crois qu'avec beaucoup d'argent il s'en ira ? Nous lui en donnerons et tu iras dans la cour pour lui dire bonjour et l'embrasser, et en l'embrassant tu lui crèveras les yeux.

VOIX DE LA CUISINIÈRE ET DE LA PRINCESSE D'AZUR. — Corbeau ! Corbeau ! n'écoute pas le Roi Noir.

LE ROI NOIR. — Si tu me rends ce service, Corbeau, je te donnerai un beau capuchon d'or.

LE CORBEAU. — Entends-tu : Pic, pac, pic, pac ! le joli Ramoneur n'a plus qu'un étage à monter. Je ferai ce que tu me demandes.

VOIX DE LA CUISINIÈRE ET DE LA PRINCESSE D'AZUR. — Ô méchant, méchant Corbeau !

LE ROI NOIR. — Taisez-vous ! vos plaintes m'empêchent de m'entendre.

LE CORBEAU. — Le sabre du Roi Bleu coupe tout seul les têtes. Dis-moi vite où sont tes trésors, que je les donne au joli Ramoneur quand il sera arrivé derrière la porte.
(On entend frapper à la porte : Toc, toc, toc !)

VOIX DE LA CUISINIÈRE ET DE LA PRINCESSE D'AZUR. — Joli Ramoneur, joli Ramoneur, sauvez-nous !

LE CORBEAU. — Où sont tes trésors ?

LE ROI NOIR. — Corbeau, empêche qu'il ne me tue ! Mes trésors sont là, sous cette pierre. (On frappe de nouveau à la porte : Toc, toc, toc ! Le Roi Noir soulève une pierre et apporte un gros sac d'argent au Corbeau.) Voilà pour apaiser le Ramoneur !

LE CORBEAU (criant.) — Haut-en-Bas !

LA VOIX DU RAMONEUR (derrière la porte.) — Haut en bas !

LE CORBEAU (au Roi Noir.) — Ouvrez-lui la porte : il n'est pas en colère. Moi, je vais me percher sur la cage de la Princesse d'Azur, pour m'en aller dans la cour crever les yeux à Haut-en-Bas quand il redescendra.
(Le Corbeau va rejoindre les deux femmes dans le recoin où elles sont cachées.)

LA VOIX DU RAMONEUR. — Ouvrez. (Il frappe très fort : Toc, toc, toc !)

LE ROI NOIR (prenant le sac d'argent et ouvrant la porte.) — Voilà de l'argent pour vous en aller, joli Ramoneur. (Le Ramoneur entre.)

LE RAMONEUR (transperçant le Roi Noir d'un coup de sabre.) — Et voilà un coup de sabre pour que tu t'en ailles en enfer, Roi Noir. (Le Roi Noir tombe mort.)

LA VOIX DU CORBEAU. — Haut-en-Bas !

LE RAMONEUR (joyeusement.) — Haut en bas !
(Il attire la cage sur la scène, et avec sa clef il ouvre la porte à la Princesse d'Azur.)

LA PRINCESSE D'AZUR. — Ô joli Ramoneur ! je serai votre femme, vous l'avez bien mérité.

LE RAMONEUR. — Ô Princesse d'Azur ! je ne suis qu'un pauvre Ramoneur.

LA PRINCESSE D'AZUR. — Vous avez conquis les trésors et le château du Roi Noir. Vous ne serez plus un pauvre Ramoneur tout barbouillé de suie, vous serez bien blanc et vous deviendrez le Prince d'Azur !

LA VOIX DU CORBEAU. — Et moi, Princesse d'Azur, vous ne m'appellerez plus le méchant Corbeau, car j'ai fait semblant de servir le Roi Noir pour qu'il nous ouvre la porte de ses trésors, que sans cela nous n'aurions jamais su retrouver ; et je resterai toute ma vie avec vous, la Nourrice et le Prince d'Azur, et je vous serai utile toute ma vie.
 

FIN






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