THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE  THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES  À  TRINGLES

Lemercier de Neuville
 

     Lemercier de Neuville a écrit pour les marionnettes à tringle en prenant comme base de départ les jouets qui se faisaient à son époque. Une façade, trois décors, douze personnages, c'est tout ce qui est nécessaire pour s'approprier son répertoire, voire plus. (Note du webmestr)e.


     [...] Les théâtres des marionnettes qui se vendent chez les marchands de jouets en dans les bazars sont tous d'une simplicité primitive ; c'est la grandeur ou le fini d'exécution qui en déterminent le prix.

     
Ils se composent d'une façade avec un rideau ; de deux portants ou coulisses, et de trois décors, avec une troupe de douze personnages dont la taille est en rapport avec la grandeur du théâtre.

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     Ainsi que nous l'avons dit plus haut, ces personnages ont, au sommet de la tête, un fil de fer avec lequel on les fait agir par le haut du théâtre, et qui peut se recourber et s'accrocher au sommet du rideau, ou de la toile de fond quand on a besoin de les faire rester en scène. On les fait entrer et sortir de scène par les côtés, comme font les acteurs dans les grands théâtres.

     
Suivant leur prix et leur taille, ils sont en cartonnages plats ; mais plutôt, ce sont de petites poupées habillées très habilement avec des débris de satin, de soie et de papier doré. Autrefois toutes les articulations étaient munies de fils qui se rassemblaient au sommet du fil de fer et qui, mues par les doigts, faisaient faire différents gestes au personnage ; mais, pour tout autre qu'un professionnel, cette complication était peu pratique et demandait tout au moins des exercices préliminaires.

     
Ce théâtre n'a point de répertoire publié. On vend bien, avec le théâtre et les personnages, de petites pièces isolées, mais qui n'ont aucun caractère, et nous ne croyons pas qu'on les ait jamais utilisées.

     
C'est pour combler cette lacune que nous publions un recueil spécial de pièces composées exprès pour les marionnettes, et dont les personnages sont uniquement ceux qui sont en vente dans le commerce.

     
On trouvera peut-être que c'est donner beaucoup d'importance à ce divertissement enfantin, et qu'il serait préférable de laisser les enfants improviser eux-mêmes leurs pièces ; à ceci, nous répondrons que l'imagination de l'enfant est très bornée, et qu'il sera bien vite à court. Puis, nous sommes de ceux qui croient que les jeux qui s'adressent à l'esprit doivent être dirigés. Une récréation qui ne satisfait que l’œil a besoin d’être variée ; or, dans le cas présent, l’œil n'a qu'une faible satisfaction ; c'est l'esprit, c'est-à-dire le dialogue des personnages, qui la complète ; aussi demande-t-il des qualités spéciales : la simplicité, la gaieté, la moralité.

     
Il n'est certes pas facile de parler à l'enfant ; pour réussir, il faut se faire enfant comme lui, parler sa langue, émettre ses pensées, et, en même temps, les rectifier. Le comique de l'enfant n'est pas le même que celui de l'homme ; il est moins fin et ses émotions sont plus naïves. Pour distraire l'homme, il faut apprendre ; pour l'enfant, au contraire, il faut oublier.

     
Aussi ce nouveau répertoire n'a-t-il pas été facile à établir, étant donné surtout l'absence presque totale de moyens d'exécution : personnages sans gestes, peu nombreux et peu variés ; suppression des accessoires et décors limités. Nous avons tenu compte de toutes ces difficultés.

     
Les sujets que nous avons choisis ne sont pas précisément enfantins. Nous avons voulu éviter la niaiserie, la sensiblerie et surtout la leçon. Nous ne sommes plus au temps de Florian, de Bouilly, de Berquin, de Mme de Genlis ; les enfants modernes sont plus dégourdis ; ils ne s'amusent plus d'historiettes sentimentales ; il leur faut de la gaieté, de la drôlerie, de l'esprit même, à condition qu'il ne soit pas trop fin.

     
Il eut été difficile de réunir ces qualités en mettant en scène des personnages de nos jours, qui eussent été vulgaires et qui, avec les costumes qui nous étaient imposés, eussent paru invraisemblables ; nous avons donc choisi l'époque du XVIIIème siècle, et les personnages symboliques du Théâtre de la Foire. Pierrot et Polichinelle sont nos héros ; nous les faisons figurer à côté de Géronte, Clitandre, Léandre, le Docteur, Florval, Isabelle, Colombine et autres figures du temps.

     
Sur les dix pièces qui composent ce recueil, quatre sont consacrées aux fourberies des valets, ce sont : Le valet doré, L’école des valets, Le valet de deux maîtres et Le retour de Géronte. Ces types de valets, nous le savons bien, n'existent plus que dans la légende ; mais nous n'avons pas voulu faire du Théâtre réaliste, et les domestiques d'aujourd'hui eussent été trop dangereux à mettre à la scène.

     
Les Renseignements et L'instruction de Pierrot sont des pièces sans valets, mais qui n'en sont pas moins comiques. La première repose sur les scrupules et la naïveté de Géronte, l'autre sur la malice de Pierrot.

     
Trombolini est un drame bouffe, une histoire de brigands.

     
Le Roi Polichinelle est une satire politique, mais c'est une politique de marionnettes où ne se trouve aucune allusion personnelle.

     
Enfin, Le bâton de Polichinelle et La princesse enchantée sont des féeries sans trucs.

     
Sauf La Princesse enchantée, toutes ces pièces destinées au théâtre des marionnettes peuvent être aussi jouées par les enfants eux-mêmes, non pas les tout petits, mais ceux de dix à douze ans.

     
Cinq de ces comédies : Le valet de deux maîtres, Les renseignements, Le bâton de Polichinelle, La princesse enchantée et Trombolini, reposent sur des amours, des sympathies, mais la note en est très atténuée et les unions qui s'ensuivent les rendent inoffensives. En somme, les enfants qui assistent chaque jour au mariage de leurs frères, sœurs, cousins et cousines, ne peuvent y voir la moindre immoralité. Ils jouent bien entre eux au mariage sans savoir, ni chercher a savoir ce que c'est.

     
Pour terminer, et ce n'est pas pour nous excuser d'avoir entrepris ce travail, nous dirons que des devanciers illustres n'ont pas rougi d'écrire pour les marionnettes : l'académicien Malezieu, Lesage, Piron, Favert, Fielding, Voltaire, Rousseau, Goethe, Bérenger, George Sand et bien d'autres, ont taillé leur plume pour ces gentils comédiens, pendant que, au milieu de l'auditoire enfantin, Bayle, Charles Perrault, la duchesse du Maine, Madame de Graf?gny, Charles Nodier, Henri Haine les applaudissaient.

     Nous ne comptons pas sur un si brillant auditoire ; les enfants nous suffiront et, sans nous flatter d'avoir complètement réussi, nous espérons qu'ils nous sauront gré, ainsi que leurs parents, de l'effort que nous avons fait. 
[...]

L. LEMERCIER DE NEUVILLE




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