NOTICE
Un des grands plaisirs de l'enfance est sans contredit le théâtre Guignol, qui, à Paris, tient ses assises aux Champs-Elysées et dans plusieurs autres jardins publics. Cet engouement s'explique par la vitalité des personnages animés par les doigts de l'opérateur, bien plus que par le texte des pièces jouées, que l'on n'entend généralement pas, et dont par conséquent il est assez difficile de suivre l'action. On comprend en effet que les voix qui sortent de ce petit théâtre en plein air n'arrivent pas très distinctes au dehors ; aussi les casteliers, - on nomme ainsi les artistes qui font jouer les guignols, - en prennent-ils à leur aise et interprètent-ils à leur convenance les pièces de leur répertoire. Ces pièces, du reste, sont de leur cru ; toujours naïves et souvent grossières, aucune censure n'a passé par là et la morale et le bon goût n'y sont guère respectés. Ce qui en fait la drôlerie, c'est la bastonnade perpétuelle que subissent l'un après l'autre les personnages et dont se réjouissent les enfants.
Elles existent cependant, ces pièces, et sont même très amusantes ; mais pour l'enfance elles ont un très grand défaut : c'est qu'elles sont écrites en patois lyonnais dans le répertoire de Lyon, et en argot parisien dans celui de Paris. Sans doute, les expressions bizarres amènent le rire, mais elles ne sont pas toujours châtiées et l'enfant qui les retient en garde un fâcheux souvenir.
Le théâtre Guignol, passé de la rue au salon, n'a donc pas encore de répertoire convenable. Il y a bien un théâtre de Guignol édité par Le Bailly dans un format populaire, mais il reproduit des pièces du théâtre Lyonnais, modernisées il est vrai, et cependant contenant encore assez de patois pour que l'auteur ait été obligé de terminer le volume par un glossaire. Une autre publication remplit mieux le but ; mais l'ouvrage ne contient que six pièces et leur exécution demande le concours de plusieurs personnes. Or ceci est une difficulté.
Avec les petits théâtres de Guignol qui se vendent chez les marchands de jouets, il est difficile de se tenir plusieurs dans la baraque. Quand il y a trois personnages en scène, il faut nécessairement deux opérants ; devant l'impossibilité d'être deux à faire mouvoir les guignols, l'enfant se dégoûte du jeu et l'abandonne. Il s'agit donc de supprimer cet obstacle. Il y en a un autre, non moins important : c'est l'ignorance absolue que l'on a de présenter les guignols, de les faire agir, de les rendre vivants. En général on les présente toujours trop bas, car on ne voit que leur tête, on les fait se bousculer, et très souvent, dans les bastonnades, on n'aperçoit que le bâton.
Dans ce nouveau répertoire, nous avons cherché à remédier à tous ces défauts. Nos pièces sont gaies, mais châtiées ; elles peuvent être jouées par une seule personne et nous en donnons tous les moyens ; enfin nous les faisons précéder d'indications techniques qui permettront aux amateurs d'être aussi savants dans cet art que le premier castelier venu.
I
COMMENT TIENT-ON UN PERSONNAGE
Le guignol est un animal dont on trouverait difficilement la classe dans l'Histoire naturelle. En effet, il n'a qu'une tête et deux mains ; le reste du corps n'existe pas. Mais il a un vêtement, ce que n'ont pas les animaux. La tête et les mains sont troués, intérieurement, de la grosseur du doigt. Tel qu'il est, il est inerte, sans physionomie, sans voix. Mais si vous voulez l'animer, glissez votre main droite sous sa robe, fourrez votre pouce dans sa main gauche, votre doigt indicateur dans sa tête, et le doigt médius dans sa main droite ; redressez-le, levez le bras et remuez vos doigts, et vous verrez de suite l'animal en question, le guignol, vivre et prendre une physionomie. C'est votre main qui remplace son corps absent et qui devient son âme, sa volonté aux yeux des spectateurs, de même que votre voix va devenir la sienne.
Cela vous semble bien facile, vos doigts entrent aisément dans les trous ménagés, et, en regardant le guignol, vous lui faites faire, sans difficulté, les gestes les plus bouffons. Mais il ne s'agit pas de vous, ce n'est pas vous qu'il va falloir amuser, c'est votre public. Il faut maintenant présenter votre personnage aux spectateurs. C'est plus difficile.
Vous avez votre personnage au bout des doigts ; bien. Relevez votre doigt indicateur qui supporte la tête, de façon à ce qu'elle soit bien dégagée ; maintenant écartez en les baissant le pouce et le médius. Là ! voici votre personnage campé.
Baissez le doigt indicateur : Il salue.
Relevez le doigt indicateur et rapprochez à plusieurs reprises le pouce et le médius : - Il applaudit.
Tous les gestes peuvent être imités à l'aide de ces trois doigts.
C'est le doigt indicateur (la tête) qui donne la physionomie. Les deux autres la soulignent. Ils servent aussi à porter et à prendre les objets.
Mais la main humaine a cinq doigts. Que deviennent les deux autres : l'annulaire et le petit doigt ? Eh bien, ceux-là restent passifs, repliés implacablement contre la paume de la main. C'est là une grande difficulté qu'on ne surmonte qu'à la longue. Si on les laissait libres, ils relèveraient les vêtements des personnages et nuiraient à l'illusion en leur donnant un ventre exagéré.
Il est important aussi de s'habituer à tenir les guignols de la main gauche. Comme le niveau de la scène de votre théâtre est à la hauteur de votre tête, il faut nécessairement lever vos bras de façon à ce qu'on voie votre personnage au moins à mi-corps. C'est un peu fatigant, mais les pièces sont peu longues et l'on peut toujours appuyer un moment le poignet sur la tablette du devant du théâtre.
Avec ces premières données, tout le monde peut, en peu de temps, après quelques répétitions, jouer une pièce de guignols.
II
COMMENT ON LE FAIT VIVRE
Vous savez maintenant comment on crée un personnage avec un morceau de bois et un bout d'étoffe ; mais vous ignorez encore comment on le rend humain, c'est-à-dire comment on lui fait faire des gestes qui rendent des idées. Ces gestes, évidemment, ne seront pas entièrement semblables à ceux de l'homme, le guignol ne possédant que des moignons, - ses bras n'étant pas coudés, - mais, néanmoins, il est possible de lui faire exprimer la plupart des sentiments humains. Il ne faut pas oublier que la tête du personnage n'a d'autre physionomie que celle que lui a donnée le sculpteur et que, par conséquent, elle ne peut traduire les divers mouvements de l'âme. Ce sont donc les bras qui s'en chargeront. Tout d'abord il faut se pénétrer de cette idée que chaque main qui soutient un personnage est le personnage lui-même, que le mouvement donné par cette main est pour ainsi dire son âme et par conséquent que les deux doigts moteurs sont ses bras. Ceci acquis voici les principaux gestes du guignol :
La douleur : - Il ramène ses deux moignons sur sa face, pendant que le poignet fait des mouvements saccadés de bas en haut.
Le rire : - Même geste, mais en écartant les moignons à diverses reprises comme s'il applaudissait. Le rire fou s'exprime en faisant en outre se rouler le guignol sur la tablette ; il se gondole, comme on dit vulgairement.
L'effroi : — Baissez légèrement la tête et relevez les moignons derrière en les écartant.
L'étonnement : — Se traduit de même, mais la tête relevée.
La méditation : — Relevez un seul moignon sur la face.
La colère : — Baissez la tête, les moignons en avant.
Le salut : — Se fait majestueusement en baissant le poignet avec un mouvement saccadé, à plusieurs reprises.
Les autres gestes dérivent de ceux-là et l'opérant saura bien les trouver.
Le travail du bâton demande une certaine habileté. Le bâton doit être saisi fortement par le pouce et l'annulaire, de sorte qu'il est tenu en biais et repose sur l'épaule du personnage. Il faut avoir bien soin de ne frapper que sur la tête, car plus bas on rencontrerait la main, qui pourrait s'en ressentir. - Un duel au bâton est très divertissant, mais il faut qu'il soit bien réglé, avec des passades, des corps à corps et des reculs simulés. Un opérant habile peut aussi jeter son bâton en l'air, le rattraper et faire des moulinets. Tout cela demande de l'exercice et de la pratique, mais les acteurs véritables font bien des répétitions, pourquoi les guignols ne les imiteraient-ils pas ?
Ce que nous disons du bâton s'applique aussi aux autres armes réelles ou de fantaisie, telles que balais, casseroles, plumeaux, vessies au bout d'un bâton, etc..
Quoique la tête du guignol, sculptée dans du bois plein, soit assez lourde, il faut s'habituer à la tenir droite ; le personnage doit se voir à mi-corps, c'est-à-dire qu'il faut que la base du poignet soit à la hauteur de la planchette. En cas de fatigue, le poignet s'appuie sur la planchette, mais il ne faut pas abuser de ce moyen de repos, car le guignol doit être léger, sans cesse en mouvement, autrement il ressemblerait à une poupée.
Quand vous faites entrer un personnage en scène, ayez soin, s'il vient du fond, de tenir votre bras très levé, car l'éloignement du bord de la scène serait cause que l'on ne verrait que sa tête, et, quand vous le faites sortir, ne l'abaissez que lorsqu'il est bien caché par la coulisse.
Chaque théâtre de Guignol est muni d'une petite planchette intérieure placée à peu près à la hauteur de la ceinture de l'opérant. C'est là qu'il place les personnages qui doivent entrer et ceux dont il vient de se servir. Il y met aussi les accessoires dont il a besoin ; or, il est important qu'il puisse aisément les trouver au moment voulu. Il faudra donc qu'il les dispose du côté où la main doit les prendre. Si, par exemple, un personnage sorti par la droite doit rentrer par la gauche, il le déposera à gauche pour que sa main gauche puisse le prendre sans difficulté.
Le dégagement des doigts d'un Guignol n'est pas toujours facile à cause de la transpiration, et puis parce que l'autre main n'est pas là pour y aider ; en ce cas on n'hésitera pas à mettre le Guignol entre ses jambes qui serviront de pinces. Tous les trucs sont bons pourvu qu'on réussisse.
Il arrive aussi qu'un personnage placé sur la main droite doit sortir par la gauche ; ce jeu de scène oblige l'opérant à se retourner ; alors le personnage de la main gauche suit le premier à distance comme s'il l'accompagnait à la porte et ce mouvement paraît naturel.
Les accessoires se prennent forcément avec les deux moignons, on les appuie contre la paume de la main qui fait la poitrine du Guignol, afin de ne pas les laisser échapper. — Les pièces de monnaie, les petits objets, croix, médailles, etc., que se donnent les personnages entre eux n'existent pas ; d'abord le public ne les distinguerait pas, puis il serait impossible de les prendre. Le geste seul du Guignol doit les désigner.
Voilà, ce nous semble, toutes les indications indispensables au maniement des guignols ; l'intelligence des amateurs suppléera certainement aux oublis que nous avons pu faire.
III
ACCESSOIRES. — DÉCORS. — COSTUMES
C'est encore à l'intelligence et à l'habileté des petits amateurs que nous devons faire appel. Tous les accessoires ne se trouvent pas dans le commerce, il faut les confectionner. Ceux qu'on trouve n'ont pas souvent la proportion voulue, il est utile de remédier à tout cela. Il en est de même des décors, qui demandent parfois des modifications. Mais cela ne saurait être un obstacle pour l'amateur de guignol ; il trouvera au contraire un certain plaisir à être le machiniste et le décorateur de son théâtre et, s'il ne sait ni dessiner ni peindre, ces modifications, en tous cas, ne lui coûteront pas cher.
Les bâtons qu'on fait soi-même avec un manche à balai en bois blanc, doivent être longs de vingt-deux centimètres au plus ; afin qu'ils résonnent sur la tête, lorsqu'on s'en sert, on doit les scier en croix dans le sens de leur longueur sur une étendue de huit centimètres de chaque côté.
Tous les guignols, servant à représenter les pièces de cette publication, et dont nous donnons plus loin la liste, se trouvent dans le commerce ; mais comme il en faut un certain nombre (vingt-six), tout le monde ne consentira peut-être pas à les acheter. En ce cas on se procurera seulement les têtes et les mains et l'on fera faire les costumes chez soi. On pourra aussi n'acheter que les personnages de la pièce qu'on veut représenter.