LE VOYAGE DE PETIT-JEAN
Théâtre et marionnettes pour les petits, par Mme Girardot
1907
PERSONNAGES
PETIT-JEAN. — PIERROT. — LA MAMAN DE PETIT-JEAN. — UN BOHÉMIEN
UN SERGENT DE VILLE OU UN GENDARME
ACCESSOIRES
Cinq poupées dont le costume rappellera autant que possible celui des personnages mis en scène. — Un petit fouet.
PETIT-JEAN. — Dis donc, Pierrot, j'ai envie de faire un voyage.
PIERROT. — Avec qui ?
PETIT-JEAN. — Tout seul.
PIERROT. — Tout seul ?... Un mioche comme toi !...
PETIT-JEAN. — Un mioche ?... Je vais avoir sept ans bientôt !...
PIERROT. — Ça ne suffit pas pour voyager tout seul, mon vieux ; as-tu de l'argent ?
PETIT-JEAN. — Oui, j'ai dix-neuf sous.
PIERROT. — Tu n'as pas seulement de quoi payer ta place en chemin de fer.
PETIT-JEAN. — Je voyagerai à pied.
PIERROT. — Je te souhaite du plaisir ! J'ai lu une histoire comme ça : un gamin qui s'était sauvé de chez ses parents et que les gendarmes ont ramassé sur la route.
PETIT-JEAN. — Oh ! moi, je n'ai pas peur des gendarmes ! Et puis, tu sais, je ne resterai pas longtemps. Je veux aller à Paris, et, en revenant, je te raconterai tout ce que j'aurai vu.
PIERROT. — Et ton père, qu'est-ce qu'il en dit de ton voyage ?
PETIT-JEAN. — Je n'en parle ni à papa ni à maman; ils ne voudraient pas, bien sûr.
PIERROT. — Alors, tu vois que ce n'est pas raisonnable ; moi, je t'engage fort à rester tranquille.
PETIT-JEAN. — Je veux voir Paris, je te dis que je le verrai !
PIERROT. — En ce cas, bon voyage !...
LA MAMAN DE PETIT-JEAN, entrant vivement. — Ah ! mon Dieu !... Petit- Jean est parti !... Pierrot me dit qu'il est allé à Paris... Tout seul !... Est-ce que c'est possible, voyons ? Un enfant de six ans !... On ne quitte pas son papa et sa maman pour courir ainsi les grands chemins. Il n'aurait jamais voulu nous causer ce chagrin-là !... Pourtant, si c'était vrai ?... Oh! que je suis malheureuse !... Mon petit est perdu, il s'est peut-être noyé, ou bien une voiture l'aura écrasé ! Mon Dieu, que je suis malheureuse !... (Elle pleure et fait de grands gestes.) Cherchons encore !... Courons de tous côtés !... (Elle sort.)
PETIT-JEAN, couché par terre. — Déjà la nuit !... Et j'ai marché, marché ! C'est donc bien loin Paris ? J'ai peur, je ne veux pas rester là. Qu'est-ce que j'entends ?... On dirait un cheval qui galope... si c'étaient les gendarmes ?... Pierrot avait raison, j'aurais mieux fait de rester chez nous.
UN BOHÉMIEN, s'approchant, grosse voix. — Que fais-tu là, mon garçon ?
PETIT-JEAN. — Je me repose, Monsieur.
LE BOHÉMIEN. — Ah !... où sont donc tes parents ?
PETIT-JEAN. — Mes parents sont à la maison, chez nous... Moi, je vais à Paris.
LE BOHÉMIEN. — À Paris ?... Comme ça, tout seul ?
PETIT-JEAN. — Oui, Monsieur, est-ce que je serai bientôt arrivé ?
LE BOHÉMIEN. — Dame, c'est loin ! Si tu veux me suivre, je t'y conduirai ; j'ai une voiture et deux chevaux.
PETIT-JEAN. — Ah ! je veux bien, que vous êtes bon ! (Il l'emmène.)
LE BOHÉMIEN (Il tient Petit-Jean par le bras et crie). — Femme ! voilà un garçon qui fera notre affaire. Tu vas lui apprendre à marcher sur la corde et à danser. Il a bonne mine ; je crois que nous en tirerons quelque profit.
PETIT-JEAN. — Mais, Monsieur, je ne veux pas danser... Je ne veux pas marcher sur la corde, moi !...
LE BOHÉMIEN. — Tu ne veux pas ?... Attends un peu ; je vais d'abord t'apprendre à obéir...
(Il lui donne plusieurs coups de fouet sur les jambes.)
PETIT-JEAN, criant et sautant. — Oh ! là, là !... Vous me faites mal ! Oh ! là, là !... Je le dirai à maman ! Oh ! là, là !...
LE BOHÉMIEN. — Il ne fallait pas la quitter ta maman. À présent, tu appartiens au père Tapedur. Nous irons aux foires, et tu feras toutes sortes de choses pour amuser le public, entends-tu, galopin !... Gare au fouet, si je ne suis pas content de toi ! Pour ce soir, tu te passeras de dîner, j'espère que demain matin je te trouverai plus raisonnable. Allons, oust, va te coucher !... (Il le pousse dans un coin.) Fais-y attention, la mère ! Que je ne l'entende pas crier, surtout !...
UNE GROSSE VOIX, au fond. — Bien, bien, sois tranquille ! La mère Tapedur sait faire marcher le martinet.
PETIT-JEAN, seul, s'avançant doucement. — Ils dorment !... Pourvu que le chien ne se réveille pas ! Marchons doucement, doucement... Voilà la porte... Quelle chance, elle n'est pas fermée !... Hop ! me voilà dans la rue ; courons, courons ! Ô ma bonne maman, mon cher papa, ma sœur Jeannette, que j'ai du malheur de vous avoir quittés !... Je veux m'en aller bien vite, bien vite !... Comme mes jambes me font mal !... Où donc que je suis ?... Voici des becs de gaz... des maisons... du monde !... Oui, mais c'est la nuit, jamais je ne pourrai trouver mon chemin !... Que j'ai faim ! que je suis las !...
UN SERGENT DE VILLE. — D'où viens-tu, marmot ?
PETIT-JEAN. — Je vais chez nous, Monsieur, à X..., rue Neuve, n° 24.
LE SERGENT DE VILLE. — Fort bien, tu sais ton adresse, mais ça ne me dit pas pourquoi tu te promènes tout seul la nuit, dans ce quartier-là. Encore un petit maraudeur, hein ?... Si je te conduisais en prison ?...
PETIT-JEAN. — Oh! non, Monsieur, je vous en prie ! Tenez, je vais tout vous dire : je me suis sauvé, je voulais voir Paris, et puis, un méchant homme m'a emmené dans sa voiture, m'a roué de coups. Si vous ne m'aidez pas à retrouver maman, je vais mourir...
LE SERGENT DE VILLE. — Ah ! Ah ! mon jeune garçon, te voilà guéri de l'envie de voyager, n'est-ce pas ? et tu attendras, pour aller à Paris, d'avoir de la barbe au menton, j'espère. Allons, file !... (Il le conduit chez ses parents.) Toc ! toc !
LA MAMAN DE PETIT-JEAN. — Entrez !... Ah ! mon Dieu, voilà mon petit ! (Elle pleure et l'embrasse.) Moi qui le croyais perdu !... Si vous saviez, mon bon Monsieur, comme j'ai pleuré !... Et son pauvre papa qui cherche toujours !... Mais, enfin, méchant enfant, pourquoi es-tu parti ? ...
LE SERGENT DE VILLE . — Je crois, Madame, que vous pouvez lui pardonner son escapade ; il a été puni en conséquence.
LA MAMAN. — Oh ! oui, Monsieur, les mamans pardonnent toujours, mais leurs enfants leur font souvent bien du chagrin.
RIDEAU